Itinéraire d’un pratiquant bouddhiste
Par Serge Virenque
Propos recueillis par Philippe Judenne et Marie-Christine Peixoto
Sagesses Bouddhistes : Dans quel contexte avez-vous découvert la pratique de la méditation à l’hôpital ?
Serge Virenque : Je souffrais depuis très jeune de dépression chronique. Comme par moment mon état s’améliorait, une forme d’habitude avait fini par s’installer. J’ai été diagnostiqué très tardivement bipolaire de type II, en 2007.
Malgré un cocktail de médicaments (antidépresseurs, anxiolytiques et régulateurs d’humeur), je rechutais à chaque fois en souffrant de nombreux effets secondaires. À l’époque, j’étais très demandeur de nouveaux traitements qui étaient à chaque fois pleins de promesses et synonymes de la fin de la souffrance… Mais c’était très compliqué. Est arrivé un moment où j’ai assumé cette souffrance. Je ne suis plus sorti de chez moi, pendant près d’un mois : j’étais terrorisé. Quelque chose s’est passé à ce moment-là. J’ai été forcé de regarder en face cette peur intense : ça a probablement été un point de départ.
J’ai commencé par la respiration abdominale lorsque j’étais confronté à mes moments d’angoisse, et j’ai pu commencer à baisser les anxiolytiques auxquels j’étais pourtant complètement « accro ».
J’ai pu constater que le simple fait de respirer avait un effet immédiat, comparable à celui d’un anxiolytique, sauf qu’on garde conscience de ce que l’on fait.
J’ai fini par réussir à intégrer un protocole de méditation à l’hôpital Saint-Antoine en novembre 2012, pour une durée de huit semaines. Nous avions rendez-vous une fois par semaine, pendant un peu plus de deux heures, dans le gymnase de l’hôpital — ce n’était pas une hospitalisation (rires) ! On nous demandait ensuite d’essayer de pratiquer quotidiennement une fois revenus à la maison avec un livre pour support, Méditer pour ne plus déprimer, écrit par Jon Kabat-Zinn et trois autres psychologues[1], accompagné d’un CD de méditation guidée.
Pendant ces huit semaines à Saint-Antoine, que s’est-il passé ?
C’est quelque chose qui m’a marqué. Dans un premier temps, j’avais beaucoup de mal à pratiquer seul chez moi. Par exemple, le scan corporel est une pratique qui dure une demi-heure — il faut être allongé, immobile, en parcourant les parties de son corps — c’était quelque chose de difficile. J’avais peur qu’on me dise que si je n’y arrivais pas, je ne pourrais pas continuer à suivre le programme (rires) ! Je sentais que c’était quelque chose d’important pour moi. Mais le témoignage des autres participants allait dans le même sens que le mien, eux aussi rencontraient des difficultés. J’ai donc persévéré et je me suis aperçu assez rapidement que dans les petites activités de la vie quotidienne, comme faire la vaisselle par exemple, mon attention devenait plus importante.
Par le passé, j’ai fait des thérapies, un bon nombre, pour essayer d’aller mieux — et là, j’ai été très surpris. J’ai constaté des changements sans même savoir d’où ça venait, sans même faire d’effort, sans volonté particulière. Au bout de quelque temps, j’ai pu voir que j’étais plus calme dans mon comportement et dans mes ressentis. En psychothérapie on parle surtout de ce qui va mal, on a toujours le nez un peu dedans. On rabâche le passé. Ce protocole de pleine conscience était une proposition différente. Dans le groupe, certaines personnes ne parlaient pas, ou très peu : ils ne rentraient pas dans les détails, comme parler de leur enfance par exemple. Je me souviens notamment d’une des participantes qui était extrêmement perturbée, au point de ne pas pouvoir lire le livre. Elle a donc écouté le disque et pratiquait beaucoup le scan corporel, tous les jours. Elle me racontait que les larmes coulaient en permanence sans qu’elle ressente de douleur en particulier ; à la fin du protocole, elle était complètement transformée, sans avoir eu recours forcément à la parole, sans compliquer les choses.
Est-ce que l’on vous parlait de pleine conscience, de mindfulness ?
C’était encore peu connu à l’époque. On n’en parlait pas autant que c’est le cas aujourd’hui. On nous parlait plus exactement de méditation et de MBCT (Mindfulness-Based Cognitive Therapy ou Thérapie cognitive basée sur la pleine conscience). C’était un psychiatre qui menait les séances, nous étions un groupe de sept personnes, ce qui est relativement peu étant donné le rythme des séances hebdomadaires, et ce n’est pas une méthode qui est souvent proposée par le milieu médical : il faut vraiment l’initiative d’un soignant en position de pouvoir la mettre en place.
Comment avez-vous découvert la pratique de la méditation bouddhiste ?
Très peu de temps après le protocole MBCT, début 2013. J’avais réalisé qu’au bout de ces huit semaines, je serais lâché dans la nature. Certaines personnes témoignaient alors de leur passage dans un centre bouddhiste, et même le psychiatre ne cachait pas que la méthode avait des origines bouddhistes.
J’ai donc tapé quelques mots clefs sur internet — centre/ bouddhiste/ Paris — et c’est ainsi que j’ai poussé la porte du centre bouddhiste situé juste à côté de chez moi. Je n’ai pas attendu, car j’avais acquis une certaine confiance pendant le protocole, je ne me suis pas trop posé de questions. Quand je suis arrivé ici, c’était surtout avec l’objectif de pratiquer la méditation. Mais très rapidement, j’ai bien aimé l’ambiance, les gens qui s’y trouvent. J’ai adhéré au centre tout de suite, et je suis venu très souvent, aussi bien pour la méditation que pour suivre les enseignements : une dimension spirituelle est venue se greffer. Mais lorsqu’on fait ses premiers pas au niveau spirituel, on a vite l’impression d’atteindre rapidement quelque chose d’incroyablement élevé… une sorte d’éveil (rires) ! Il faut revenir sur terre, car parfois c’est deux pas en avant, un pas en arrière. Il n’y a pas de miracle non plus. Avec cet apprentissage de la méditation, c’est vraiment très important d’avoir des lieux ouverts où les gens puissent venir pratiquer. Personnellement, j’ai réussi à mettre en place une pratique quotidienne de la méditation parce qu’il y avait ce rendez-vous hebdomadaire, et ce côté « groupe » où les gens sont motivés, et ce, sans qu’il y ait un thérapeute ou un psychiatre.
Quelles sont les différences entre la pratique de la méditation bouddhiste du calme mental et la pratique de la méditation dans les séances de MBSR-MBCT ?
Je ne sais pas s’il y a vraiment de différence. Mais soyons pragmatiques : au moins, si les gens qui sont en souffrance — et il y en a beaucoup en psychiatrie —peuvent l’être moins, alors ça ne peut être qu’une bonne chose. Je pense que la méditation de pleine conscience, en dehors de l’effet pratique sur la dépression, ouvre à d’autres dimensions.
Après le protocole de huit semaines, j’ai continué de me rendre dans un hôpital de jour, à l’Élan Retrouvé, une association d’accompagnement qu’on m’avait recommandée à l’hôpital Saint-Antoine. Je suivais toutes sortes d’activités, des groupes de parole, et j’ai parlé de mon expérience de la méditation. Mon enthousiasme était peut-être un peu maladroit, mais je me suis heurté à des réactions assez problématiques de la part de certains médecins de l’association. Les participants, au contraire ça les intéressait… Après avoir montré le livre de Jon Kabat-Zinn, que le psychiatre de Saint-Antoine m’avait lui-même recommandé, j’ai été convoqué par le directeur de l’association. On m’a demandé de ne pas en parler, et très concrètement de ne plus assister au groupe de parole. Heureusement que j’allais mieux à ce moment-là, car il y avait de quoi être déstabilisé, fragilisé. J’ai fini par comprendre qu’il y avait beaucoup de résistances en face de moi, et qu’on me renvoyait, du coup, quelque chose de très violent. C’est l’une des raisons qui font que, par exemple, je n’ai pas parlé de spiritualité ou de bouddhisme lors de mon témoignage sur Radio Citron[2]. J’en ai tiré un enseignement : j’en ai moins parlé, et ce sont les gens qui sont venus vers moi. Mais l’association a évolué sur ces questions en quelques années : aujourd’hui, un protocole de méditation de pleine conscience a vu le jour. Ça me fait plaisir.
La méditation m’a permis d’envisager d’arrêter les médicaments face à un corps médical qui est rarement de cet avis : ça m’a donné confiance, une certaine fermeté et un sens des responsabilités aussi. Ça m’a pris deux ans. C’est aussi pour ça que j’y suis allé très progressivement, accompagné de mon psychiatre. Ça m’a appris la patience et la confiance — c’était toujours une victoire, ne serait-ce que pour quelques milligrammes de traitement en moins.
Les pratiques corporelles telles que le yoga sont-elles beaucoup utilisées pour la pleine conscience dans un protocole MBCT ?
Nous avons eu pendant quelques semaines des mouvements de yoga très simples à faire, en pleine conscience, en ressentant ce que l’on faisait, et de la marche méditative — nous marchions très lentement en groupe en ayant conscience de chaque pas, de chaque sensation. Nous avons également travaillé sur les sons, la respiration. Pour moi c’était beaucoup plus simple de passer par les mouvements parce qu’il m’était difficile de rester immobile dans les premiers temps. J’avais vraiment scindé mon esprit et mon corps, j’étais tout le temps « dans ma tête ». J’ai connu la même expérience avec d’autres activités telles que la danse ou le qi gong, qui m’ont beaucoup aidé à m’ancrer dans mon corps, plutôt qu’à être en permanence dans des pensées, dans des culpabilités, dans des souffrances qui sont quand même souvent psychiques.
Est-ce que la pleine conscience laïque avec ses méthodes MBSR-MBCT peut ouvrir à spiritualité ?
Oui, c’est mon cas, je pense que ça peut ouvrir à d’autres choses : ça donne tellement confiance avec un minimum d’effort au départ. Cette confiance m’a amené au bouddhisme.
Quel sens prend aujourd’hui la traversée de ces souffrances ?
J’ai personnellement ressenti que ces souffrances pouvaient m’aider maintenant à faire quelque chose, ne serait-ce que par le simple fait qu’on a eu cette expérience, qui aide à comprendre ceux qui souffrent aussi. Et peut-être que si je n’avais pas souffert de dépression, je n’aurais alors pas fait de méditation ; je n'aurais pas découvert les enseignements du bouddhisme. Peut-être que ça m’a ouvert une voie.
Je ne souhaite à personne de tomber dans la dépression, car c’est terrible. Avec le recul, je pense que c’était un signal d’alerte, ce n’était pas juste pour me faire souffrir ! Aujourd’hui, je suis globalement plus attentif à mes réactions, je les vois beaucoup plus directement, même si c’est difficile parfois de se regarder en face, de constater toutes ces perturbations qui nous traversent. Mais ma vie n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était. Je ne saurais dire si c’est juste grâce à l’aspect « méditation laïque » ou s’il s’agit de spiritualité, parce que c’est intimement lié. Dans mon for intérieur, je me dis qu’il vaut mieux que quelqu’un pratique la méditation, même sans l’aspect spirituel, plutôt que pas du tout. Aujourd’hui, je ne me sens plus malade. Même sans traitement depuis deux ans, je ne suis pas retombé en dépression mais en revanche, j’ai les difficultés de la vie — comme tout le monde—, j’ai toujours mes problématiques émotionnelles, certes amoindries, mais elles sont là.
[1] Méditer pour ne plus déprimer par Jon Kabat-Zinn ainsi que Mark Williams, John Teasdale et Zindel Segal, paru aux Éditions Odile Jacob.
[2] Radio Citron est une webradio réalisée par des patients en soins psychiatriques. Le projet s’est inspiré de La Colifata, une station créée il y a plus de vingt ans par le psychologue argentin Alfredo Oliveira au sein de l’hôpital psychiatrique de Buenos Aires. Au menu, de la musique, des interviews, des débats, des infos, des reportages… http://radiocitron.com/
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°6 (Printemps 2018)
Serge Virenque est un jeune homme comme tous les autres, que nous avons côtoyé dans le groupe de pratique de l’Espace bouddhiste tibétain de Paris. Il témoigne de son parcours de vie.