top of page
loading-gif.gif

Comment méditer au sein d’une jeune famille

Photo du rédacteur: Sagesses BouddhistesSagesses Bouddhistes

Être parent ne laisse pas beaucoup de temps pour la méditation… à moins de sortir des sentiers battus.


 Traduction Sylvie Gauthier


 

Peu après la naissance de mon aînée, une amie qui n’avait pas d’enfant me demanda en toute bonne foi comment se portait ma pratique de méditation. Gênée, je marmonnai quelques vagues propos, distraite par mon bébé qui gigotait dans mes bras. En vérité, je n’avais ni l’énergie, ni le loisir de m’asseoir sur le coussin, chaque minute de mon temps étant prise par ma fille. À ce moment, je pris conscience que, ne disposant pas des ressources propres aux Angelina Jolie de ce monde, j’allais devoir réinventer ma pratique.

Au fil des ans, j’ai testé diverses formules et j’ai bénéficié des précieux conseils de parents qui ont réussi à maintenir leur pratique, et même à la transformer en profondeur. Voici le fruit de ces expériences.


Parents d’enfants de moins de trois ans, abandonnez tout espoir.

Si vous vous occupez à plein temps ne serait-ce que d’un seul nourrisson, vous pouvez dès à présent faire le deuil de vos séances de méditation classiques. Si vous disposez de quelques instants de tranquillité, prenez une douche, faites un peu d’exercice ou piquez un roupillon, ou regardez un clip amusant. La sieste de votre enfant se prolonge? Vous pouvez toujours tenter le coup, mais sachez que tout bambin est muni d’un puissant détecteur de méditation : « Maman/papa médite, aha ! Fini le dodo ! » Tous les parents le savent : il suffit de s’installer pour méditer, même à 4 heures du matin, pour que les enfants se réveillent. Pourquoi ? Mystère. Mais le constat est implacable.


Les moments de tendresse sont propices à la méditation.

Parmi les soins prodigués aux tout-petits, beaucoup se prêtent merveilleusement bien à la méditation de pleine conscience, si tant est que vous y mettiez l’intention. Allaiter, donner le biberon, changer les couches, bercer son enfant pour l’endormir, lui donner son bain, le promener dans la poussette ou le porte-bébé, lui faire des câlins… tous ces gestes peuvent être accomplis dans l’esprit de la méditation, si vous y impliquez tous vos sens, et même votre respiration. Lorsque vous tenez votre bébé contre vous, respirez au même rythme que lui. Et, comme vous le feriez pour une « vraie » méditation, laissez de côté appareils et écrans.


Si vos enfants sont d’âge préscolaire ou scolaire, méditez au terrain de jeux. Si vous y êtes seul et devez garder l’œil sur eux, profitez-en pour vous ancrer pleinement dans le moment présent : écoutez les voitures qui passent ou le vent qui souffle à travers les branches, ressentez le froid du banc sous vos fesses ou la chaleur de votre manteau, respirez l’odeur de la neige qui fond ou celle des petits gâteaux du goûter.


Déplacez votre lieu de méditation de la maison au travail. Bon nombre d’adultes ayant des enfants à charge s’accordent un temps de méditation à un moment propice de la journée de travail. Par exemple, certains méditent dans la voiture, sur le parking du bureau, avant ou après le travail. Cette solution convient aussi aux parents qui doivent aller chercher leurs enfants à l’école. D’autres méditent dans le bus ou le métro, ou pendant la pause déjeuner. Et pourquoi ne pas créer un groupe de méditation avec des collègues ?


Méditez une fois les enfants couchés. Après quelques années (lorsque vos enfants atteignent l’âge de trois ans environ, et en fonction de leurs besoins), vous aurez peut-être retrouvé suffisamment d’énergie pour méditer tôt le matin, en soirée ou pendant la sieste. Il semblerait que le « détecteur de méditation » mentionné plus haut se désactive chez les enfants d’âge scolaire…


Méditez différemment. Élever des enfants est exigeant ; il se peut que vous manquiez de sommeil ou d’énergie mentale et que vous ne puissiez pas vous concentrer comme auparavant. Plutôt que de vous focaliser sur un objet (comme la respiration), vous pouvez élargir votre champ de conscience : l’écoute méditative, le scan corporel ou conscience des sensations du corps, la marche méditative ou le recueillement sont peut-être préférables. Croyez-le ou non, même si votre méditation est moins posée, moins ciblée, elle ne sera pas exempte de profonds moments d’éveil.

Si vous avez eu une enfance douloureuse, mettez l’accent sur la compassion ou la bonté envers vous-même. Devenir parent peut réveiller des blessures anciennes, et vous pourriez, inconsciemment, reproduire des schémas de votre enfance avec vos propres enfants. Cette période de votre vie s’avère une occasion idéale de guérir certaines souffrances du passé, et aussi de devenir un parent plus conscient et aimant. Pour que cette guérison puisse se vivre, donnez-vous le temps de pratiquer metta [1] (l’amour bienveillant) envers vous-même. Les traumatismes s’étalent souvent sur des générations. Épargner ces traumatismes à vos enfants les aidera à offrir à vos petits-enfants un foyer fonctionnel, et ainsi de suite. Si je n’avais qu’un seul conseil à donner aux parents, ce serait de méditer longuement sur la compassion envers eux-mêmes.


Remplacez le « temps pour moi » en « temps pour nous ». Si vous vous accrochez à l’idée, datant de votre « vie d’avant », selon laquelle vous ne pouvez recharger vos batteries qu’en prenant du temps pour vous – et, pour un méditant, cela signifie du temps pour méditer assis en silence – c’est plutôt la frustration et une fatigue accrue qui vous attendent. Mieux vaut apprendre à élargir le concept du « moi » en y incluant les membres de votre famille. Cela ne se fera pas en un clin d’œil, mais l’effort en vaut la peine. Le soi est la somme de nos relations, de nos interconnexions (ou, comme le dit Thich Nhât Hanh, l’« inter-être »). Une fois le soi solitaire abandonné, le temps passé avec vos enfants pourra devenir un temps de méditation, dans la mesure où vous êtes intentionnellement présent (là encore, pas de distractions, surtout celles du type électronique). Cette transmutation de l’identité est sans doute la transformation la plus radicale que vivra un parent méditant, et elle se fera profondément ressentir dans votre développement spirituel.


Pratiquez avec vos enfants. Certaines familles accomplissent l’exploit inouï de méditer ensemble, mais pour la plupart, cela relève de l’utopie, puisque trop de conditions doivent être réunies (concordance âges/stades de développement, aménagement des horaires, etc.) pour que ce rêve devienne réalité. Néanmoins, il existe divers moyens de créer une culture familiale de méditation. Par exemple, dès leurs premières années, j’ai intégré des plages de silence dans le quotidien de mes enfants, afin qu’ils apprennent à être à l’aise dans la tranquillité, face à eux-mêmes, sans distractions. Nous ménageons des intervalles de silence en voiture, en ballade, et dans les moments de tendresse. Il y a aussi la pratique qui consiste à nommer ce que nous observons dans l’instant, de façon tout à fait informelle : « Je sens l’odeur de la pluie sur le trottoir ; je vois des pépites de soleil sur les feuilles mouillées ; j’entends les écureuils papoter. » Cela vous aidera non seulement à pratiquer la pleine conscience, mais aussi à éveiller celle de vos enfants. Bien vite, leurs observations se joindront aux vôtres.


Ne soyez pas un Bouddha de pierre. Si vos enfants déboulent dans votre chambre alors que vous et/ou votre partenaire êtes en méditation, pas de panique. Tant mieux si vos enfants vous voient pratiquer : cela sèmera une graine en eux. À notre époque, choisir de s’asseoir dans le silence et l’immobilité, refuser de s’identifier à un soi affairé, en perpétuel mouvement et noyé dans le bruit, revenir au bon sens et à l’humanité en nous retrouvant nous-mêmes, n’est autre qu’une action radicale. Cela dit, si votre enfant vous réclame alors que vous méditez, interrompez votre pratique et ouvrez-lui les bras. Embrassez-la tendrement, serrez-la contre vous, et respirez avec elle quelques instants, jusqu’à ce qu’elle soit prête à repartir vers une nouvelle activité – il se peut aussi que vous deviez mettre fin à votre méditation. Si vous demeurez de glace lorsque votre enfant pénètre dans votre bulle, elle apprendra à associer méditation et éloignement. Au contraire, si vous l’intégrez dans votre sphère de paix, elle saura que méditation est synonyme d’attention, de présence et d’amour.

 

Pour en savoir plus :

Une série (en anglais, n.d.l.r.) de vidéo-conférences de l’auteure sur la façon de mettre la conscience et la compassion au cœur de la vie familiale. https://cutt.ly/UhbZJm3

 


[1] Mettā est un mot pāli de l’Inde ancienne qui désigne la bienveillance, l’amour bienveillant, ce souhait que tous les êtres trouvent le bonheur et les causes du bonheur.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°16 (Hiver 2020)

 

Élevée à l’origine dans une communauté zen Sôtô dans les années 1970, Sumi Loundon Kim étudie la tradition Theravada depuis l’adolescence. Après une maîtrise en études bouddhistes et en sanskrit à la Harvard Divinity School, elle a été directrice associée du Barre Center for Buddhist Studies dans le Massachusetts, aux États-Unis. Elle a été aumônier bouddhiste à l’université de Duke pendant huit ans et est la fondatrice des Mindful Families of Durham. Elle est actuellement l’aumônier bouddhiste de l’université de Yale. Elle vit avec son mari et ses deux enfants dans le sud du Connecticut.

bottom of page