Comment la pleine conscience peut harmoniser la relation parents-enfants
- judenne.jc
- 30 juin 2023
- 7 min de lecture
Invitée : Sœur Prune
Présentatrice de l’émission : Aurélie Godefroy
Aurélie Godefroy : Un des principes fondamentaux de la pleine conscience, enseignée par le grand maître zen vietnamien Thich Nhât Hanh, est de ramener son attention au moment présent. Cette approche peut être utilisée dans le cadre de retraites pour les jeunes, comme c’est le cas au Village des Pruniers, dans le but d’améliorer, entre autres, le dialogue entre les générations. Comment ces retraites sont-elles structurées ? Quelles sont les activités proposées à ces jeunes et de quelle manière permettent-elles d’améliorer leurs relations avec leurs parents, dans leur vie quotidienne ? Nous avons reçu sœur Prune pour en discuter.
Peut-on définir ce qu’est la « pleine conscience » ?
Sœur Prune : La pleine conscience, c’est une pratique qui est assez simple et que tout le monde peut faire. Ça consiste à ramener notre esprit vers le moment présent, vers l’ici et le maintenant. La principale chose par laquelle nous commençons, c’est de ramener l’esprit vers le corps, vers nous-mêmes, au lieu de laisser partir notre esprit dans mille directions, mille pensées, mille soucis et projets. On revient au moment présent et à ce qui se passe en nous et autour de nous. Au Village des Pruniers, nous utilisons pour cela deux outils principaux. D’une part, la respiration consciente : quand j’inspire, je sais que j’inspire. Quand j’expire, je sais que j’expire. Je suis présent à ma respiration. D’autre part, nous pratiquons la marche méditative, la marche en pleine conscience : on apporte toute notre attention vers les pas que nous sommes en train de faire et nous marchons complètement dans le moment présent.
En quoi cette pleine conscience peut-elle aider dans les relations parents-adolescents ? Quel peut être son rôle ?
La pleine conscience, c’est très vaste. Ce n’est pas seulement la respiration consciente et la marche méditative, mais c’est quelque chose qui s’applique à tout ce que nous faisons, y compris les relations entre les parents et les adolescents, notre manière de communiquer ensemble, d’être là les uns pour les autres, la manière de vivre ensemble.
Pour cela, vous faites des retraites spécialement conçues pour les jeunes. Je crois que c’est le maître Thich Nhât Hanh qui en a eu l’idée. Comment ça s’est passé ?
Au milieu des années 2000, notre maître a entendu parler du nombre de jeunes qui se suicident en France : 30 jeunes par jour... Notre maître a dit : « Il faut faire quelque chose, on ne peut pas laisser cela continuer. Les jeunes ont besoin d’aide, que peut-on faire pour eux ? On va faire des retraites spéciales, on va les inviter à venir pratiquer la pleine conscience, la fraternité. » En 2005, la première retraite pour les jeunes a eu lieu au Village. C’est une très belle chose qui s’est passée.
Comment ces retraites sont-elles structurées ?
L’emploi du temps est similaire aux emplois du temps des retraites qu’on offre d’habitude au Village : bien sûr, il y a la méditation assise, la méditation marchée, les repas en pleine conscience et en silence avec la communauté, le travail communautaire aussi, en pleine conscience. Et à cela, on ajoute des activités qui nourrissent les jeunes, dont la musique, des randonnées, des partages, des cercles de parole qui traitent de questions qui ont directement à voir avec les jeunes.
Vous m’avez confié en préparant cette émission que ce qui vous a interpellé le plus, c’était la capacité d’ouverture de ces jeunes ?
Oui, c’est vraiment étonnant. En une journée de retraite, on voit des jeunes qui viennent de quinze pays différents. La plupart sont européens, mais d’autres pays sont représentés. Et en l’espace de cette même journée, on voit déjà qu’avec la pratique, avec la vie en communauté, une ouverture et une fraternité se produisent immédiatement. On sent que la solidarité est vraiment présente et que les jeunes sont heureux de faire des activités ensemble... Ils apprennent à se connaître eux-mêmes et ils apprennent à connaître l’autre. C’est vraiment très beau.
Pourtant, on dit souvent que les adolescents vont mal. Pour quelles raisons, d’après vous qui êtes souvent à leur contact ? Que vous disent-ils ?
Il y a beaucoup de choses que les jeunes ont à traverser, de par le milieu dans lequel ils vivent évidemment, mais aussi de par ce qui se passe à l’intérieur d’eux-mêmes : que vais-je devenir ? Que fais-je ? Quelle carrière choisir ? Quelle vie de famille ? C’est seulement grâce à la pleine conscience que l’on peut vraiment faire ses choix, en pleine connaissance de cause et dans la sérénité, dans la joie.
Ce manque de cadre, de repères que l’on peut observer chez les jeunes d’aujourd’hui n’est-il pas plus difficile à vivre que pour les générations précédentes ? Quel est votre sentiment ?
Le quotidien pour cette génération d’adolescents est effectivement difficile à vivre parce qu’on a complètement perdu la direction, la dimension spirituelle… et on a tendance à penser que c’est quelque chose qui est réservé aux personnes qui ont plus de 50 ou 60 ans. Ce n’est pas vrai ! Les jeunes ont eux aussi besoin de cette dimension spirituelle, mais ils n’ont pas toujours les clés, et ne savent pas où aller les chercher… où chercher cette source de spiritualité.
N’est-ce pas aussi une accumulation de tensions par les différentes générations ?
Évidemment. Du fait que plein de choses n’ont pas été résolues par les générations précédentes, les jeunes se retrouvent face à une situation extrêmement difficile, que ce soit la société, la situation de la planète et les relations entre jeunes et parents.
Si l’on se place davantage du côté des parents : vous parlent-ils justement des problèmes auxquels ils doivent faire face dans l’éducation, notamment de leurs adolescents ?
Oui, parmi les parents qui viennent au village des Pruniers avec leurs ados, certains se confient un peu à nous et demandent des outils de pratique, des choses qu’ils peuvent utiliser concrètement à la maison. Les parents sont complètement débordés par l’époque : ils ont leur vie professionnelle à accomplir et 10 000 choses à régler. Mais en même temps, ils ont une nécessité immense d’être là pour leurs enfants.
Ce qui est frappant lorsque l’on se rend au village des Pruniers, c’est de voir un grand nombre d’enfants. Est-ce qu’ils ne sont pas trop jeunes pour recevoir cet enseignement du Bouddha ?
Les portes sont ouvertes à tous, tous les âges, toutes les générations. Et ce qu’on voit clairement, c’est que les enfants sont très réceptifs.
Est-ce qu’il n’existe tout de même pas un décalage qu’il faut essayer de gérer entre cette culture traditionnelle bouddhiste et la culture adolescente d’aujourd’hui, telle qu’on peut la voir dans les collèges, dans les lycées ?
Là où nous avons de la chance en Occident, c’est que le bouddhisme a quelque chose de nouveau, dont on n’a pas l’habitude. On utilise cette tradition qui date de 2 600 ans pour un monde qui ne le connaît pas encore, ou peu. C’est très beau ! Il y a l’exemple des cinq entraînements à la pleine conscience : ce sont des préceptes que le Bouddha avait donnés pour les personnes laïques, de son temps, mais qui à présent sont révisés – on utilise des mots un peu différents parce qu’on ne peut pas utiliser les mêmes mots qu’à époque : c’est un langage différent, mais qui est complètement adapté. Les cinq entraînements à la pleine conscience sont une réponse aux besoins de la société actuelle.
Plus concrètement, ces cinq entraînements à la pleine conscience peuvent être des outils pour ces jeunes. C’est d’ailleurs ce que vous vous leur dites, je crois. Pouvez-vous nous les rappeler ?
C’est la vision bouddhique pour une éthique universelle mondiale. Le premier entraînement s’appelle le respect de la vie : il s’agit de développer notre compassion et d’empêcher la destruction de la vie, d’empêcher de tuer. Le deuxième entraînement, c’est le bonheur véritable : il s’agit de développer la générosité et de partager nos ressources et d’empêcher le vol, d’empêcher l’injustice sociale. Le troisième entraînement s’appelle l’amour véritable : il consiste à développer une forme de responsabilité vis-à-vis de notre comportement sexuel, à ne pas commettre des actes sexuels qui vont causer de la souffrance, à s’engager dans des relations de couple qui construisent vraiment l’amour et un avenir possible pour les enfants. Le quatrième entraînement s’appelle l’écoute profonde et la parole aimante : il s’agit aussi de développer une communication véritable et profonde, et de reconnaître quelles sont les graines négatives qui sont en nous et qui peuvent peut-être passer à travers nos paroles, et d’essayer de transformer tout cela. Enfin, le cinquième entraînement concerne la consommation : il s’agit de nourrir notre esprit et notre corps sainement par la manière dont nous consommons non seulement les aliments comestibles, mais aussi la télévision, les sites internet, les jeux vidéo et évidemment l’alcool et les drogues.
Pour conclure, avez-vous des retours sur la façon dont les jeunes utilisent ces outils dans leur vie quotidienne, au lycée par exemple ?
L’exemple qui me vient tout de suite, c’est les jeunes qui sont à la veille de leurs examens : ils pratiquent la relaxation totale – on fait le vide, on se détend le corps complètement et on ne se laisse pas emporter par l’émotion, le stress ou le trac avant un examen oral par exemple. Ce qui est très important, c’est que les jeunes ont la capacité d’emmener la pratique de pleine conscience qu’ils ont apprise dans les retraites, de l’emmener dans leur milieu de vie, dans leur milieu scolaire, et de créer des groupes pour se soutenir les uns les autres. C’est quelque chose d’essentiel parce qu’un jeune tout seul qui veut pratiquer la relaxation totale ou bien la marche en pleine conscience, avec beaucoup de volonté, bien sûr qu’il y parvient ! Mais avec le soutien de la communauté, ils peuvent le faire en groupe, ensemble. C’est quelque chose qui change complètement et qui leur apporte beaucoup de bénéfices, beaucoup de joie, beaucoup d’amour !
Sœur Prune était étudiante en traduction lorsqu’elle a découvert le Village des Pruniers. Devenue moniale en 2008, elle est très investie dans les retraites et notamment celles consacrées aux jeunes, qu’elle guide en France mais aussi en Europe et jusqu’en Amérique Latine.