Par Sumi Loundon Kim
Lorsque ma fille avait trois ans, j’ai créé le groupe Buddhist Families of Durham en Caroline du Nord. Plus tard, ce groupe a été rebaptisé Mindful Families of Durham. Au cours des huit années qui ont suivi, j’ai aidé des dizaines de familles à intégrer la pleine conscience dans leur vie.
Le terme « mindful parenting » (parentalité consciente) évoque la volonté de pratiquer la pleine conscience dans nos interactions avec nos enfants, dans l’espoir que celles-ci soient plus sages, plus posées, et que nous puissions résoudre les conflits plus aisément. Beaucoup de parents espèrent ainsi ne plus jamais avoir à élever la voix avec leurs enfants.
C’est bien là notre aspiration, mais comment y parvenir ? Car il ne s’agit pas d’un simple effort de volonté. En réalité, la vie de famille ressemble souvent à une danse effrénée ; pas toujours facile de suivre la cadence. Dans le tourbillon du multitâche, la pleine conscience n’est pas forcément au rendez-vous. Nous y arrivons de temps en temps, ici et là, mais pour un résultat à long terme, une approche différente s’impose.
La meilleure façon d’amorcer le virage de la parentalité consciente est d’aménager une plage de méditation de cinq à vingt minutes par jour. Cinq minutes, c’est très bien. Vingt minutes, c’est encore mieux. La routine idéale consiste en une pratique quotidienne, avec une ou deux journées de pause par semaine.
L’efficacité de cette méthode, nous disent les maîtres de méditation, devient évidente lorsque l’on compare la pleine conscience à un muscle : plus on le sollicite, plus il se développe. Poussons plus loin l’analogie : pour augmenter notre force physique, nous allons à la gym, où nous consacrons un temps précis à la répétition de certains exercices. La même chose s’applique à la pleine conscience. La méditation, c’est la salle de sport où nous nous entraînons sur une durée déterminée, jour après jour.
Pour tonifier nos muscles, nous suivons un programme précis. Nous ciblons différents groupes musculaires, et la force acquise par l’entraînement pourra nous servir dans différentes circonstances, comme pour soulever des objets lourds, par exemple. De même, pendant nos cinq à vingt minutes de méditation quotidienne, nous développons la « force » de notre conscience, de façon à pouvoir y avoir recours en tout temps, y compris dans les moments plus lourds.
La méditation est aussi l’occasion de prendre le pouls, de réfléchir à ce qui nous attend (si nous méditons le matin) ou à ce qui s’est passé dans la journée (si nous méditons le soir). Bien souvent, tout va si vite que nous n’avons pas le temps ou la capacité de réagir ; nous laissons les choses nous échapper. Mais lorsque nous nous installons en méditation, ces choses remontent à la surface et nous pouvons nous laisser interpeller. « Comment mes paroles ont-elles été accueillies ? Est-ce que j’ai blessé quelqu’un par inadvertance ? Devrais-je lui en parler pour redresser la situation ? » Ainsi, chaque jour, nous pouvons corriger le tir, pour le bien et l’épanouissement de la famille.
La pratique quotidienne comporte un troisième avantage : ce moment de tranquillité est un terreau fertile aux idées nouvelles. Les grands artistes, compositeurs, écrivains et autres, ont souvent leurs meilleures idées sous la douche, ou lors de longues marches. Ce sont des moments où l’esprit est ouvert et alerte, mais en même temps calme et réceptif. La méditation offre le même équilibre entre la détente et l’attention. Lorsque nous touchons cet état, de profondes intuitions peuvent surgir. Je vous mets au défi de méditer trente jours de suite, pour voir si cela aura un impact sur votre vie de famille.
Ayant grandi dans une famille de méditants, j’ai remis cette pratique en question à l’âge adulte. Tous ces gens étaient-ils sous l’emprise d’une illusion collective ? Qu’est-ce que le fait d’être assis à ne rien faire pourrait bien apporter à ma vie ?
Quelques années plus tard, j’ai décidé de mener une expérience : j’allais me remettre à la méditation. Je m’assiérais seulement vingt minutes, mais j’y mettrais tout mon cœur. Je me suis donc assise tous les jours pendant un mois, puis j’ai analysé le résultat. Cela m’avait-il aidé dans mon rôle de mère ? Incontestablement. Ayant constaté les fruits de cette pratique, j’ai continué à méditer régulièrement, et je n’ai jamais cessé. Je crois que cela a fait de moi une meilleure mère.
Si vos enfants ont moins de trois ans, il vous sera très difficile de trouver le temps de méditer. J’en ai moi-même fait l’expérience. Vous pouvez glaner quelques minutes de recueillement au moment de donner le biberon ou d’allaiter… Beaucoup de parents profitent du rituel du dodo pour méditer. Votre enfant vous veut à ses côtés, mais vous n’avez rien de spécial à faire ; pourquoi ne pas méditer pendant qu’il glisse vers le sommeil ? Si vos enfants sont très jeunes, vous trouverez d’autres brèves plages de calme pour tourner votre regard vers l’intérieur.
Si même ces méthodes sont trop chronophages pour vous, sachez qu’il est possible de faire encore plus simple :
Commencez par suivre votre inspiration et votre expiration. Prenez conscience des sons qui vous entourent, des sensations dans votre corps. Voyez vos pensées apparaître et disparaître. Observez une émotion se lever, puis s’envoler. Continuellement, revenez à la respiration. Cela peut être aussi simple que ça.
Si vous n’êtes pas convaincu qu’une pratique quotidienne est un bon point de départ pour une vie familiale plus consciente, voici un dernier argument : comme vous l’avez certainement remarqué, vous êtes devenu comme vos parents, que cela vous plaise ou non. Vous vous surprenez à dire ou à faire quelque chose, puis vous pensez : « On dirait maman ! » Cela va aussi pour nos enfants. Viendra un moment où ils feront un geste ou prononceront une parole qui sera le reflet de leurs parents. Nos enfants absorbent une quantité incroyable d’information non verbale. Ils hériteront de notre façon de parler, de nos schémas relationnels, de notre point de vue sur le monde. (Je trouve parfois cocasse d’écouter les enfants parler de politique, parce que je me doute bien qu’ils répètent fidèlement les commentaires entendus à table !) Pensons à tout ce que nous imprimons dans l’esprit de nos enfants. Si nous souhaitons qu’eux-mêmes vivent en pleine conscience, nous devons commencer par nous regarder nous-mêmes. À nous d’incarner la pleine conscience. Comment faire ? Par la méditation, notre conscience s’élargit, nous ralentissons, nous prêtons attention.
J’aime à penser que notre pratique personnelle apporte un double avantage : nous en récoltons les fruits et, naturellement, nous partageons ces fruits avec nos enfants. Et peut-être même, qui sait, avec nos petits-enfants.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°17 ( Printemps 2021 )
Élevée à l’origine dans une communauté zen Sôtô dans les années 1970, Sumi Loundon Kim étudie la tradition Theravada depuis l’adolescence. Après une maîtrise en études bouddhistes et en sanskrit à la Harvard Divinity School, elle a été directrice associée du Barre Center for Buddhist Studies dans le Massachusetts, aux États-Unis. Elle a été aumônier bouddhiste à l’université de Duke pendant huit ans. Elle est actuellement l’aumônier bouddhiste de l’université de Yale. Elle vit avec son mari et ses deux enfants dans le sud du Connecticut.