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  • Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

BONNO


BONNO MUJIN SEIGAN DO : les tourments mentaux sont inépuisables, je fais vœu de les apaiser tous.


Le deuxième des quatre vœux universels, appelés aussi « vœux du Boddhisattva », évoque dans la tradition zen Soto notre relation aux « bonno ». Ce vœu peut sembler tellement irréalisable qu’il peut laisser perplexe et incrédule la personne qui le découvre.

 


Comment le comprendre ?

Le mot japonais bonno vient du pali kilesa (klesha en sanskrit), qui peut se traduire par « ce qui trouble, ce qui tourmente ». Parfois bonno est traduit par « illusions », « désirs » ou « passions » mais ce sens est beaucoup trop restrictif et ne reflète pas l’étendue de la réalité qu’il évoque.

 

Qu’est-ce qui est troublé ou tourmenté ?

La plupart du temps nous considérons que notre esprit est « normal » et que certains événements ou situations viennent déranger cet « esprit normal », et c’est cette perturbation sensorielle, émotionnelle ou intellectuelle que nous appelons illusion ou passion, dans un sens évidemment négatif.

Nous ne comprenons plus que cet esprit dit « normal » est déjà lui-même dans la tourmente et la confusion ! Qu’il est déjà bonno. Nous ne faisons donc que créer davantage de confusion dans la confusion, de remous dans l’agitation, de troubles dans le tumulte…


 De quoi s’agit-il ?

Selon les traditions et écoles bouddhistes, l’origine des bonno peut être classifiée de différentes façons :

– En trois points :  l’ignorance, l’avidité et la colère appelés encore les trois poisons ;

– En cinq : en rajoutant l’orgueil et la jalousie ;

– En quatre : l’ignorance du Dharma, les vues égocentriques qui en découlent, l’orgueil et l’attachement au soi ;

– En dix : l’ignorance, l’avidité, la colère, l’orgueil, les vues spéculatives, les doutes sceptiques, la torpeur mentale, l’agitation, l’impudeur et l’absence de conscience morale.

Et ces listes sont loin d’être exhaustives puisqu’on parle aussi des 108 bonno, des 10 bonno du corps, des 88 bonno intellectuels… En se combinant les uns aux autres, car ces états ne sont évidemment pas cloisonnés, on arrive finalement aux quatre-vingt-quatre mille bonno dont parlent les sutras, afin de bien montrer la puissance de cette énergie, comparable à celle d’un cheval lancé au grand galop. La bonne nouvelle étant que cette énergie est vraiment renouvelable et de fait inépuisable ; la mauvaise étant que c’est la cause première de toutes nos souffrances !

 

Voir ses bonno à partir du calme de l’esprit 

Voir les bonno, les illusions et confusions chez les autres est assez facile et occupe beaucoup de notre temps quotidien et de nos analyses mentales. Mais ce dont il s’agit ici est bien différent : commencer à voir nos propres bonno, la façon dont nos propres mécanismes émotionnels et rationnels fabriquent à chaque instant la confusion, les interprétations et les berlues de toutes sortes. Lorsque l’esprit est agité il est évidement bien difficile d’en prendre conscience : quand nous sommes dans le brouillard nous ne pouvons percevoir que le brouillard ! C’est pourquoi tout commence avec les pratiques de méditation bouddhistes et en premier lieu « samatha bhavana », l’apaisement mental et le développement de l’attention et de la présence. Ce n’est qu’à partir de ce recueillement et de ce calme mental que nous pouvons commencer à découvrir et à explorer la réalité de l’esprit ou de la conscience, de la nature du fonctionnement de ce qu’on appelle le « soi ». Ce calme mental est impossible à décrire mais peut être comparé à une étendue d’eau parfaitement lisse par un jour de chaleur d’été, alors que pas un souffle de vent ne vient troubler l’infinité des choses reflétées par ce miroir d’eau. Puis, imperceptiblement, à partir d’un son, d’une perception sensorielle ou d’une émotion, semblable à une légère vapeur, une pensée s’élève et se densifie, se développe et s’amplifie, recouvrant peu à peu tout ce qui était présent jusqu’à donner naissance à de nouvelles émotions qui se traduisent en mots, en phrases, en sujet-verbe-complément : ça y est ! Vous en tenez un ! Vous tenez un bonno ! Ne le lâchez pas !

Ou plutôt si : lâchez-le ! Car au moment même où vous en prenez conscience, le voile de smog tombe de lui-même et la surface redevient lisse et unie.

 

D’où vient le problème ?

En général, lorsque nous prenons conscience que nous sommes en colère ou que nous sommes perdus dans un rêve sensuel ou un souvenir douloureux, nous commençons à nous demander pourquoi cette émotion ou cette pensée est là, à juger de sa pertinence ou de son absurdité, à faire des commentaires ou à chercher des justifications… et ainsi à alimenter l’« usine à bonno » avec cette énergie des habitudes et des a priori.  Maître Dôgen dit dans le « Genjôkôan » : « Le fou crée toujours plus de confusion dans la confusion, l’être éveillé clarifie la confusion, moment après moment. »

Ainsi, croire qu’un être éveillé est une personne qui a mis fin à tous les bonno et que cet éveil peut se résumer à un « état sans bonno » est très certainement une des pires illusions ! Car la pratique spirituelle peut elle aussi être la source des bonno les plus aveuglants et les plus dangereux : penser qu’on détient la vérité, croire qu’on a réalisé l’éveil et que les autres sont dans l’erreur, être sûr que sa voie est la seule authentique… mais aussi croire qu’on peut se sauver tout seul…

 

Les bonnes nouvelles 

Le Bouddha enseigne que la source de tous les bonno est l’ignorance des principes de l’impermanence, de l’interdépendance et donc de la « vraie nature du soi ». C’est à partir de cette méconnaissance fondamentale, de cette croyance en un soi indépendant, permanent et autonome qu’apparaissent l’appropriation, l’identification et toutes les confusions et souffrances qui en découlent.  Clarifier la vraie nature impermanente, interdépendante et insaisissable du soi c’est pratiquer à partir des bonno et non pas contre les bonno. Chaque bonno est une opportunité d’éveil, chaque bonno est une pratique, chaque bonno est unique et ne peut être vivant que dans l’instant présent.

La première bonne nouvelle (cela a déjà été dit mais mérite d’être rappelé), c’est que les bonno sont sans fin et que par conséquence directe la pratique et l’éveil le sont également.

La seconde c’est que bien qu’ils soient inépuisables et sans nombre, il ne peut y avoir qu’un seul bonno en même temps ! Ce n’est donc pas à une armée gigantesque et terrifiante que nous avons affaire mais juste à un « soldat égaré et fragile ». Ce n’est donc pas une énergie titanesque que nous devons produire mais juste ce petit effort d’attention et de présence qui nous permet d’éclairer le bonno du moment. Et il n’y a rien dont un bonno ait plus peur qu’un petit rai de lumière, un simple moment de conscience !


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°12 (hiver 2019)

 






Olivier Wang-Genh pratique le zen Sôtô depuis 1973. Il a été ordonné moine par maître Taisen Deshimaru et a reçu la transmission du Dharma de maître Dosho Saikawa. Fondateur d’une vingtaine de dojos et de groupes de pratique en Alsace et en Allemagne, il est l’abbé du temple de Kosan Ryumon Ji à Weiterswiller.

 

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