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SB

Bienveillance et performance

Dernière mise à jour : 31 oct.

Un défi quotidien




Comment concilier la bienveillance et la performance en entreprise ?


Dominique Bouvet : Ces deux mots peuvent sembler contradictoires, voire friser la manipulation managériale. Pourtant, je fais partie d’un groupe de managers et de responsables qui réfléchissent avec un enseignant du Dharma (*) à la manière de vivre la bienveillance dans la vie professionnelle où nous faisons le constat d’une souffrance palpable. Pour aller à l’essentiel, je dirai qu’être manager, c’est prendre justement soin de ces deux axes simples : la performance de l’entreprise et le bien-être des collaborateurs et des collaboratrices. Si j’oublie la performance, on vient rapidement nous dire que si l’ambiance de travail est sympa, l’entreprise n’est pas uniquement un lieu de bien-être et, si je ne m’intéresse qu’à la performance, je vais vite découvrir qu’il manque quelque chose d’essentiel. Une approche mana-

gériale épanouissante est balisée par ces deux axes simples sur lesquels nous essayons d’être le plus pratiques et le plus concrets possible. Même si ceux qui vivent des situations bien différentes pourraient interpréter mes propos comme naïfs, je vis depuis vingt ans cette façon de manager.


Être responsable, c’est être responsable des personnes qui sont dans une entreprise, une association, un groupe professionnel et donner une grande partie de son temps au quotidien. C’est une grande responsabilité que de garder cela à l’esprit dans une activité qui tend constamment à disperser notre attention, à nous mettre en tension, souvent sans que nous nous en ren- dions compte. On en arrive même à oublier de dire bonjour — ce petit moment privilégié où on est en contact avec l’autre, une occasion de lui être attentif. Et ne pas oublier ces deux axes forts (bienveillance-performance) est un véritable défi quoti- dien. C’est également proposer, sans l’imposer, la création d’un espace où chacun va s’épanouir et développer ce qu’il a en lui. Malheureusement, la vie professionnelle est de plus en plus vue comme un moyen alimentaire de subsistance, une vision réduite partagée aussi par bon nombre de dirigeants — alors qu’elle peut être également un lieu fantastique d’expérience et au final d’épanouissement.



Quelle est la différence alors entre management bienveillant et manipulation ?


D B : Le management bienveillant n’est pas une prise en charge des gens, il ne s’agit pas de faire leur bonheur malgré eux ou de les manipuler d’une quelconque façon. Vu de l’extérieur, à exa- miner les différentes méthodes de management ici où là, il n’y a pas de différence apparente entre de l’influence positive et de la manipulation. La seule différence est la motivation.

Selon la motivation que j’ai, je vais être dans une démarche d’influence positive, de contamination positive — c’est un mot que j’apprécie beaucoup — qui est intéressante pour arriver à l’objectif que l’on s’est fixé. C’est valable à tous les niveaux hiérarchiques, le fait d’aller vers un but clairement fixé permet de générer de l’attention et de l’énergie.

Deux thématiques me paraissent essentielles : repérer les besoins fondamentaux de l’autre et repérer la part émotionnelle qui m’habite dans ma vie et donc dans ma vie professionnelle.



Que sont ces besoins fondamentaux ?


D B : Quand on manage une équipe — et même si on l’a vu en formation, on a tendance à l’oublier — il y a autant de be- soins que d’individus. Si je ne prends pas conscience de cela et que je ne suis pas attentif au fait que la personne attend une réponse à un de ses besoins fondamentaux, cela va générer du stress, de la non-performance et du mal-être. Les deux vont souvent ensemble : une équipe qui est épanouie est souvent


Aujourd’hui, ma vie professionnelle est devenue un champ expérimental de pratique au service du chemin spirituel bouddhiste.

plus facilement performante qu’une équipe qui est sous stress et contrainte. Beaucoup d’ouvrages et d’articles font l’inventaire des différents besoins comme, par exemple, la reconnaissance des compétences, la reconnaissance de valeurs personnelles, la motivation par des challenges, des défis au-delà du satisfecit du travail bien fait, l’empathie relationnelle. Tout cela correspond à différents types de personnalités que chacun connaît et expérimente. L’action juste est d’être dans une relation humaine positive : si vous n’êtes pas attentif, si vous n’êtes pas à l’écoute et si vous n’avez pas pris la peine de découvrir les besoins de l’autre, vous avez neuf chances sur dix de taper à côté. Pensant être bienveillant, positif et constructif envers une personne, vous faites en vérité tout le contraire. La découverte et la re- connaissance des besoins de l’autre est essentielle.



Comment repérer la part émotionnelle ?


D B : La part des émotions est évidente : mettre ses soucis personnels à la porte d’une entreprise le matin en arrivant est une chose impossible. Si je suis attentif à mes émotions, je vais être dans une attitude bien plus positive avec mes collabora- teurs dont j’ai la responsabilité. Si progressivement je prends conscience de mes émotions, je peux aménager des sas de quelques minutes entre deux réunions, entre deux situations qui peuvent me mobiliser complètement. S’apaiser pendant quelques minutes dans un moment intermédiaire est une chose qui peut vite s’installer si je pratique régulièrement la méditation. L’apprentissage de la méditation peut se faire sur un coussin, une chaise et au quotidien dans l’action, dans la re- lation avec l’autre. Je n’ai pas ouvert dans l’animation de mon équipe des propositions de méditation. Mes collaboratrices et collaborateurs savent que je suis impliqué dans une démarche bouddhiste mais je ne m’y réfère pas explicitement. La force de l’exemple dans le management bienveillant me semble es- sentielle et souvent, en cas de conflit entre collègues, je leur propose de se poser et d’analyser si les besoins fondamentaux de chacun ont bien été pris en compte. Je pratique de même avec eux pour ce qui me concerne directement. Quand j’ai dé- couvert le bouddhisme, j’ai eu l’envie de le mettre au service de mon approche managériale. Aujourd’hui, ma vie professionnelle est devenue un champ expérimental de pratique au service du chemin spirituel bouddhiste.



Vous évoquez un thème important, celui des réunions au sein de l’entreprise. Pourquoi ?


D B : Toutes les personnes de l’entreprise ont le sens de leur fonction, le sens de leur mission. Chacun a un rôle essentiel dans l’entreprise et on peut se parler d’être humain à être humain sans profiter de sa position hiérarchique pour faire passer ses idées. La parité relationnelle est importante.

Mais on passe beaucoup de temps dans des réunions qui sont très généralement formatées et où l’expression n’est pas libre. On est tous normalement distraits pendant une réunion qui peut durer une heure. Il y a des moments où on est concentré et des moments où on l’est moins. En moyenne, on va être ailleurs pendant 15 min, avec les enfants à la sortie de l’école, avec les courses, le menu du soir ou en relation avec un collègue. Donc à aucun moment, tout le monde n’est vraiment présent autour de la table. Pour celui qui anime la réunion — pas forcément le responsable de l’entreprise d’ailleurs —, l’écoute et l’attention sont particulièrement importantes : voir les besoins des autres, les émotions — les siennes propres, celles des autres. Comme on est sur un cocktail d’émotions, l’important est de ne pas en rajouter et surtout d’installer un climat qui va permettre à ces émotions de s’exprimer d’une façon bienveillante et positive à l’égard de tous.

Et le moment arrive où il faut prendre une décision. « Je vous ai écouté, on a fait un vote, la majorité décide ou c’est moi qui décide. » Ce moment est un moment clé car on peut perdre des collaboratrices ou des collaborateurs qui n’ont rien dit pendant la réunion et qui ne suivront pas après. Ce moment de la prise de décision est un moment important pour créer les conditions du rassemblement, pour laisser s’exprimer les objections. S’ap- puyer sur les « contre » fait progresser le groupe et amène des idées novatrices — tant que ce n’est pas de l’objection systématique qui, elle, n’a pas de sens.

Si je prends le temps de véritablement écouter — c’est la nuance entre manipulation et management positif — si je suis véritable- ment motivé dans le sens de la fonction et de la mission que je me suis données au départ, je suis authentique au moment de la prise de décision et cela va se sentir. Après, même si la décision ne convient pas à tout le monde, le groupe se sera enrichi des contradictions qui se sont exprimées. Et la personne en désaccord au final ne fera pas obstacle au développement du projet parce qu’elle a pu véritablement développer son contre-argumentaire.

Dans la vie professionnelle, nombreuses sont les situations où vous pouvez être générateur de souffrance ou bien d’esprit d’équipe et de bienveillance. L’esprit d’équipe, c’est les valeurs qu’on prend le temps de partager et le repérage des valeurs que nous avons en commun. On n’est pas obligé de tout partager, on n’est pas obligé de passer ses vacances et ses week-ends ensemble, ce n’est pas l’objet. Mais nous pouvons par contre prendre le temps de partager ce socle commun de valeurs ; cela peut être l’esprit d’équipe, la solidarité, le challenge qui corres- pondent à des partages de priorités. C’est important de le faire et de se le rappeler. Ce rappel, j’ai envie de l’exercer pour tout le reste — les deux axes, la fonction, la mission : c’est essentiel, car nous avons 150 fois par jour l’occasion d’oublier et d’être repris par les émotions qui nous tirent par le bout du nez.


*Dharma : les enseignements du Bouddha


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°7 (Été 2018)


 



Dominique Bouvet est secrétaire général de la Chambre régionale de métiers et de l’artisanat de Nouvelle-Aquitaine. Il pratique le bouddhisme dans la tradition du Vajrayana tibétain depuis plus de vingt ans.







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