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  • Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Alaya Vijnana

La puissance de la conscie,ce base-de-tout


Traduction : Marie-Christine Peixoto  

 

Combien de fois avez-vous entendu quelqu’un se plaindre du temps qu’il fait ? Avez-vous déjà remarqué que vous deveniez toujours grincheux avec le même collègue au boulot ? Connaissez-vous l’histoire du toxicomane qui ne cesse de retourner à une drogue qui déchire sa vie ? Ou peut-être avez-vous connu quelqu’un qui a transformé sa vie de façon positive et qui a grandi au-delà de ses vieilles habitudes. Le concept bouddhiste de conscience base-de-tout1(alaya vijnana) est apparu il y a environ 2 000 ans pour expliquer pourquoi les gens retournent si souvent aux mêmes états émotionnels et points de vue. Deux pratiques spécifiques pour travailler avec elle — l’attention à la puissance impressionnante de notre conscience base-de-tout et la pleine conscience de l’émotion — peuvent changer nos habitudes émotionnelles et cognitives en des réponses plus compatissantes, joyeuses et libres, transformant ainsi notre vie en cours. 

Le terme « conscience base-de-tout » fait référence au niveau inconscient d’expérience où nos habitudes sont maintenues et où elles se transforment. Dans l’école du bouddhisme Yogachara, une tradition indienne du Mahayana, la pratique est vue comme le moyen par lequel nous participons à cette transformation, de sorte qu’au lieu d’être de simples répétiteurs de nos habitudes et conditionnements, nous pouvons être des participants actifs dans la façon dont nos habitudes se forment.  

Les enseignements bouddhistes décrivent abondamment la conscience du moment présent qui fait l’expérience de ce qui est vécu à travers les six sens : la vue, le son, l’odorat, le goût, le toucher et le mental. La pensée occidentale maintiendrait habituellement l’esprit dans une catégorie séparée des cinq autres sens, mais si nous examinons notre expérience à cet instant précis, nous pouvons voir que tous ces six sens ne sont que des choses qui se produisent, des « phénomènes ». À cet instant, vous voyez des lettres noires sur fond blanc, et vous les voyez comme ayant un sens. Peut-être entendez-vous des bruits : un chat qui ronronne, le vent dans les pins ou la circulation automobile. Il y a des sensations dans le corps — les pieds en contact avec le sol et la respiration qui circule à travers l’abdomen. L’émotion est également présente, peut-être sous forme d’un calme qui se manifeste lorsque vous lisez des écrits bouddhistes ou sous la forme d’une inquiétude face aux défis de la vie. Des pensées surviennent peut-être quand vous vous demandez à quel point vous êtes présent à ce que vous lisez ou quand votre attention s’écarte du sens des mots, attirée par une urgence de travail. Une intimité profonde avec tout cela est au cœur de la pratique bouddhiste et de la transformation de la conscience base-de-tout. Mais le concept de cette conscience a été créé parce que même une attention profonde à l’instant présent ne peut pas expliquer pourquoi nous avons sans cesse des pensées et des sentiments récurrents. 

De façon conventionnelle, nous croyons que nous voyons la réalité telle qu’elle est grâce à nos sens et qu’ensuite l’esprit trouve comment en tirer ce qu’il veut. La pensée Yogachara, néanmoins, dit que les êtres humains perçoivent un monde qui est déterminé par les habitudes d’émotion, de perception et de pensée qui se trouvent dans cette conscience réceptacle, ce qui expliquerait comment un même fait divers suscite des réactions opposées chez des personnes d’opinions politiques différentes, ou comment une personne peut joyeusement sauter dans une flaque d’eau tandis qu’une autre se balade lugubrement sous la pluie. Imaginez à quel point notre expérience sera profondément différente si nous nous rendons au travail dans un état calme, présent et conscient, ou bien si nous nous y rendons dans un moment de grande colère ou d’anxiété. Dans un cas, nous porterons attention au visage singulier et unique de chaque inconnu que nous croisons, nous distinguerons si le ciel est plutôt bleu ou gris, et la façon dont notre corps se meut, la façon dont les pensées vont et viennent. Mais si une émotion intense prend le dessus, il se peut que nous ne remarquions même pas que nous conduisons une voiture ou que nous marchons dans la rue ; que nous arrivions à destination sans savoir comment nous nous sommes retrouvés là, à l’instar d’un somnambule. Nos habitudes inscrites dans cette conscience base-de-tout nous ont permis de faire le trajet et aussi de nous laisser être complètement absorbés par nos préoccupations, peut-être sans être conscients des émotions puissantes qui engendrent nos pensées obsessionnelles et l’aliénation de notre propre vie. 


L’idée d’un moi durable et séparé du monde est une illusion : tel est l’un des préceptes centraux de la pensée bouddhiste.

 

Le conditionnement qui crée nos habitudes est d’une ampleur vertigineuse. Pensez à tout ce qui a dû se passer pour que vous puissiez interpréter les lettres de ce mot comme ayant un sens. Voir des lettres noires et leur attribuer un sens est une habitude de l’esprit qui se produit de façon inconsciente. Des millions d’années d’évolution, tant physique que culturelle, entrent en jeu pour que vous puissiez comprendre chaque mot. Nos habitudes émotionnelles, aussi, remontent à des origines dont on perd la trace. L’impulsion de se battre ou de fuir que nous partageons avec nos semblables est née il y a très longtemps dans des situations infiniment éloignées de notre époque actuelle. Plus récemment, la psychologie occidentale invite à se souvenir des états émotionnels de l’enfance qui déclenchent encore nos habitudes émotionnelles actuelles. Les enseignements sur la conscience réceptacle, l’alaya vijnana, insistent sur son immensité et son inconnaissabilité. Plutôt que de comprendre notre conditionnement passé — se concentrer sur la maltraitance et les modèles familiaux néfastes ou sur les préjugés culturels et les tendances évolutionnaires —, le Yogachara se concentre sur la profonde conscience de l’émotion qui se manifeste en ce moment même. (Il ne s’agit toutefois pas de remettre en question d’autres pratiques psychologiques occidentales, qui sont excellentes et puissantes également.) 

 

Nous pouvons pratiquer pour transformer cette conscience base-de-tout afin que nos vies s’écoulent avec davantage de joie, de bienveillance et de paix, pour que notre énergie puisse bénéficier à tous et à tout, autour de nous et en nous-mêmes.

 

La conscience base-de-tout, pour citer de nombreux textes du Yogachara, est comme un fleuve qui coule. Et comme l’a fait remarquer le philosophe grec Héraclite, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Cette notion nous aide à comprendre comment nous avons le sentiment d’un moi continu : l’une des habitudes les plus répandues de la conscience est de diviser les éléments de l’expérience en un moi et un autre, et de construire le sentiment que ce moi continue, séparé de ce qu’il croit être l’autre, au-delà du temps. Cependant, cette conscience, avec les conditionnements qu’elle contient, est toujours unique à chaque instant. Ce n’est pas un moi continu. L’idée d’un moi durable et séparé du monde est une illusion : tel est l’un des préceptes centraux de la pensée bouddhiste. De nombreux enseignements du Yogachara soulignent que nous pouvons être troublés et penser que cette conscience base-de-tout est notre moi. Au contraire, elle est comme la rivière qui traverse ma ville natale. Je marche le long des rives boisées et je tiens pour acquis que c’est le Mississippi, mais parfois, tandis que je médite sur la rive sablonneuse, c’est juste de l’eau, telle qu’elle est maintenant, sans nom, sans passé et sans avenir. Le courant du Mississippi façonne ses rives, sa ligne, et il change constamment  alors qu’il ramasse du sable ici et le dépose là, ou que la pluie le fait grossir et qu’il se déverse dans le golfe. Nos habitudes sont semblables : elles se sont formées tout au long d’une période géologique, mais elles sont uniques à cet instant, et à cet instant même nous avons l’extraordinaire opportunité de participer attentivement à la façon dont elles s’organisent.  

Nous pouvons pratiquer pour transformer cette conscience base-de-tout afin que nos vies s’écoulent avec davantage de joie, de bienveillance et de paix, pour que notre énergie puisse bénéficier à tous et à tout, autour de nous et en nous-mêmes. Être conscient du pouvoir impressionnant de cette conscience et être conscient des émotions sont deux puissants moyens de s’engager dans cette transformation. Traditionnellement, on utilise la métaphore des graines, des fruits et de la culture pour illustrer comment s’opère cette dernière. Toute impulsion intentionnelle, émotionnelle ou cognitive plante une graine dans la conscience base-de-tout qui provoquera une intention, une émotion ou une pensée similaire dans l’avenir sous forme de fruit. À chaque instant, notre expérience est déterminée dans une large mesure par les semences du passé qui portent leurs fruits aujourd’hui. À chaque instant aussi, nous pouvons planter une graine de façon intentionnelle, qui donnera des fruits dans le futur. Nous pouvons planter des graines de pleine conscience, de bonté, d’humilité, d’énergie, de confiance, de lâcher-prise — tout un éventail de possibilités bénéfiques. Si nous ne sommes pas attentifs à planter ce genre de graines, cependant, nous planterons inconsciemment davantage de graines identiques à celles qui ont porté des fruits dans notre passé. C’est ainsi que se créent ou se renforcent des habitudes. Quand nous sommes en colère, inquiets ou cupides, si nous ne sommes pas vigilants quant au type de graines que nous plantons, il est probable que nous plantions inconsciemment des graines de colère, d’inquiétude, de cupidité. 

Cet article, mon écriture et votre lecture sont des moyens de prendre conscience de la puissance impressionnante de la conscience base-de-tout, et je vais à présent décrire une pratique spécifique pour cultiver cette conscience dans la vie quotidienne. Bien que la pratique bouddhique nous invite souvent à descendre en dessous de la pensée verbale, elle a toujours impliqué de focaliser l’esprit sur des pensées qui conduisent à la non-souffrance. Il est profondément stimulant d’abandonner la croyance en l’histoire que nous nous racontons sur le monde extérieur pour voir que c’est la conscience base-de-tout qui détermine notre vision du monde et nos sentiments à son égard. Nous n’avons pas à nous considérer comme victimes d’un monde extérieur ou comme victimes de notre conditionnement. Nous recevons le fruit des semences du passé comme c’est le cas dans l’expérience de ce moment même, et nous pouvons choisir de faire ce qui est utile dans ce même instant : planter des semences bénéfiques. 

Quand je vois à quel point mon expérience du monde, alors que je suis calme et enraciné dans mes sensations corporelles, diffère de celle que j’ai lorsque je suis mû par la colère, la honte ou le désespoir, je réalise mieux que jamais la puissance de cette conscience base-de-tout. 

Beaucoup de travaux scientifiques évaluent le biais par lequel nos habitudes inconscientes colorent notre perception. Un laboratoire de recherche sur les stéréotypes et les préjugés de l’université de Chicago, par exemple, a mené une étude bien connue dans le cadre de laquelle des étudiants ont pu voir brièvement des images de jeunes hommes armés ou non armés. Leur tâche consistait à identifier très rapidement les personnes qui tenaient des armes à feu et celles qui tenaient des cartes à jouer. Ils étaient beaucoup plus susceptibles de se tromper et de penser qu’une personne tenait une arme à feu si elle était noire.  

La prise de conscience du pouvoir impressionnant de la conscience réceptacle2 peut nous aider à être humbles, compatissants et bienveillants. Nous arrivons tous à présent à voir et sentir le monde de la façon dont il est produit par un nombre infini de graines. Chacun de nous, à cet instant présent, peut agir dans le processus de notre conditionnement. 



Extrait de l’article paru dans le magazine Tricycle, automne 2016 

Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°12 (hiver 2019)

 






Ben Connelly est un enseignant du Zen Soto dans la lignée de Katagiri Roshi au Minnesota Zen Meditation Center.  

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