Cultiver un savoir être
Par Anila Trinlé
L’accompagnement est bien souvent associé aux moments difficiles de l’existence, pourtant, tout au long de notre vie, nous avons été accompagnés, peut-être le sommes-nous actuellement et sans doute nous le serons encore plus tard. Que ce soit au cours de notre éducation, lors de difficultés passagères ou de maladies, mais également lors de découvertes réjouissantes, des personnes nous ont accompagnés et nous ont permis d’être ce que nous sommes aujourd’hui.
De même, dans notre quotidien, dans nos relations professionnelles, affectives ou au sein d’associations, nous pouvons être dans une dimension d’accompagnement avec notre entourage.
Lorsque nous sommes en présence d’une personne, en fonction de la situation, de notre statut et des enjeux de la rencontre, notre attention et notre vigilance vont être sollicitées de façon singulière.
Ainsi, dans le cadre de l’accompagnement d’une personne en souffrance, nous serons attentifs à notre écoute ; dans un cadre professionnel, notre attention se focalisera peut-être plus sur les enjeux ; tandis que dans le cadre affectif, nous serons plus vigilants à maintenir une relation de qualité, prenant en compte notre histoire commune.
L’accompagnement d’une personne malade et/ou en fin de vie
Le mot « accompagner » vient d’un ancien mot, « com pain », qui signifie partager le pain. Si on replace ce mot dans son contexte médiéval où la foi chrétienne était très présente, la symbolique du pain était associée à la vie. On parle du pain de la vie. Donc, accompagner peut s’entendre sans ambiguïté comme « partager un moment de vie ». Accompagner signifie également cheminer avec, et cela induit de suivre le rythme de l’autre, d’accorder nos pas aux siens. C’est-à-dire, nous accorder à ses propres choix et respecter ses valeurs et priorités. La notion de respect du rythme de l’autre est essentielle, mais pas toujours facile à mettre en œuvre. Bien que partant d’une bonne intention, le risque est grand de proposer nos propres réponses à une situation dont nous ne sommes que le témoin. Nous avons souvent des difficultés à faire face à notre incapacité de soulager concrètement la souffrance de l’autre, nous nous sentons impuissants, et cela nous amène bien souvent à répondre sur la base de ce ressenti inconfortable, en oubliant de considérer les réels besoins de celui ou celle que nous accompagnons. Accompagner, c’est aussi savoir écouter, c’est-à-dire entendre au-delà des mots mêmes, afin d’être plus ouvert à l’autre. L’écoute requiert de la disponibilité, tant intérieure qu’extérieure, et de l’adaptabilité. L’écoute demande également d’être plus attentif au vécu de la personne qu’à l’objectivité des faits. Rappelons-nous dans ces circonstances que chacun n’a accès qu’à sa propre représentation de la situation, et ce n’est pas parce que la vision de l’autre est éloignée de la nôtre qu’elle n’a pas sa pertinence pour lui. Nous pouvons aussi réfléchir au fait qu’elles sont toutes les deux tout autant subjectives et limitées ! Mais nous n’avons accès qu’à cela, et c’est sur cette base que nous pouvons interagir avec l’autre. Il s’agit en fait d’essayer de percevoir la situation du point de vue de la personne accompagnée, sans proposer de solution, mais en lui permettant, par une écoute bienveillante et attentive, de trouver ses propres réponses.
Mais accompagner ne relève pas seulement d’un savoir-faire, c’est avant tout un savoir-être, et ce savoir-être se cultive. Lorsque nous parlons d’être présent à une personne en souffrance, il s’agit en fait d’être conscient de ce que nous vivons à l’instant même de la présence, de développer la conscience de ce que vit l’autre, tout en étant présent à l’environnement, aussi bien structurel que relationnel, de la personne accompagnée.
Être conscient de ce que nous vivons induit une réflexion sur notre motivation, s’appuyer sur nos ressources, développer celles qui sont faibles et acquérir celles qui nous font défaut. C’est également accepter de rencontrer nos peurs, nos émotions perturbatrices, nos attentes et déceptions afin d’aller vers plus de clarté.
Les différentes relations d’aide
Lorsque nous sommes en présence d’une personne malade ou en fin de vie, il est important d’être clair sur notre statut parce qu’en fonction du rôle ou de la fonction qui est la nôtre, le cadre et les limites diffèrent.
Nous avons fait le choix de déterminer six grandes catégories de rôle, chacune ayant sa spécificité.
Chaque type de relation, que ce soit une relation de soutien, thérapeutique, psychothérapeutique, un accompagnement bénévole, une relation spirituelle ou affective, requiert des compétences particulières et induit un investissement singulier.
La relation de soutien est centrée sur un problème à résoudre. C’est une aide immédiate qui demande du bon sens, un intérêt pour l’autre, de la générosité et un certain pragmatisme. C’est, par exemple, prendre soin du chat du voisin lorsque celui-ci est hospitalisé, ou aider une personne à remplir les papiers nécessaires pour une démarche administrative, etc.
La relation thérapeutique est centrée sur la personne malade et/ou sur la maladie de la personne. Cela concerne les professionnels de la santé dans le sens large du terme. Il s’agit à la fois de soigner, c’est-à-dire mettre en œuvre des thérapies adaptées après diagnostic et prescriptions, et prendre soin, c’est-à-dire accompagner ces gestes d’une vigilance et d’une attention particulières qui donnent au soin sa dimension humaine de générosité et de bienveillance. Cette relation demande bien sûr une formation et des compétences précises en fonction des différents métiers du soin.
La relation psychothérapeutique est centrée sur la relation elle-même, sur la demande explicite du client, avec pour objectif un processus de réparation et de reconstruction. En fonction des différentes psychothérapies, et elles sont nombreuses, les processus diffèrent, mais cela requiert toujours une formation sérieuse et, la plupart du temps, une supervision.
La relation d’accompagnement bénévole est centrée sur la personne. Basée sur l’écoute, la présence, elle propose à l’accompagné un espace pour traverser ses difficultés, pour trouver ses propres réponses et adaptations. Le bénévole doit être formé au sein d’une association, qui lui fournit un suivi grâce à la mise en place de groupes de parole animés par des personnes compétentes.
La relation spirituelle est centrée sur une transcendance, dans le sens large du terme. Elle est basée à la fois sur l’intelligence et le cœur, la confiance et le discernement. Elle permet d’aller au-delà des apparences et, dans la voie bouddhiste, au-delà de la dualité. Dans tous les cas, elle demande une guidance qui soutient le processus de transformation. Le guide doit avoir une expérience personnelle du chemin issu de sa tradition spirituelle.
La relation affective est centrée sur le vécu, l’histoire de vie, les enjeux et le rapport émotionnel fait d’amour, d’attachement mais aussi de doutes, de blessures parfois, d’agacements souvent... Nos relations avec nos proches sont en fait bien souvent ambivalentes et génèrent joie, tristesse, affection mais aussi colère, culpabilité... En fait, nous éprouvons auprès de nos proches un cocktail émotionnel souvent plaisant mais parfois explosif ! La particularité de cette relation est qu’elle peut avoir différents aspects, que ce soit au niveau de l’aide matérielle concrète ou au niveau des soins, mais elle ne peut être assimilée à une relation d’accompagnant bénévole ni psychothérapeutique à cause des limites imposées par l’attachement, les enjeux, le passé, etc. Par ailleurs, dans ce cadre, la souffrance de la personne accompagnée a un impact fort sur l’accompagnant, et cet impact vient se télescoper avec notre propre souffrance, ce qui n’est pas le cas dans les autres relations. Comme nous venons de le voir, chaque type de relation est différent, chaque relation a sa place et sa fonction auprès d’une personne en souffrance. L’essentiel est d’être clair avec notre posture, c’est ce qui permet aux limites d’être vécues dans leur amplitude et non pas en termes de limitation. C’est, de plus, une honnêteté nécessaire vis-à-vis de l’autre.
Accompagner le deuil
La définition du deuil la plus simple est celle-ci : un processus d’adaptation à une situation nouvelle.
Ce processus prend place dans toutes les situations de perte et de rupture, que ce soit le décès d’un proche, la fin d’une relation, la perte d’un objet significatif pour nous, le chômage, mais également la fin d’un projet, le non-aboutissement d’un rêve, etc.
L’accompagnement d’une personne en deuil requiert une bonne connaissance du processus du deuil, des vécus émotionnels et du fonctionnement de la culpabilité. Nous n’entrerons pas ici dans les détails du processus du deuil […] Quoi qu’il en soit, accompagner une personne en deuil demande une attention et une vigilance accrues, la souffrance de la perte entraînant une vulnérabilité qu’il est important de prendre en compte. Le chemin du deuil peut être long, souvent difficile, toujours douloureux et requiert de la part de l’accompagnant discrétion, délicatesse et bienveillance.
Comme nous venons de le voir, l’accompagnement nécessite à la fois un savoir, du savoir-faire basé en partie sur une plus grande clarté de notre rôle dans la situation, et bien évidemment un savoir-être.
Extrait de La présence, un savoir-être à cultiver paru aux Éditions Rabsel, 2014
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°16 (Hiver 2020)
Anila Trinlé est moniale bouddhiste, conférencière et formatrice. Depuis plus de vingt ans, elle participe à la réflexion et à l’élaboration d’une approche bouddhiste des problématiques de la société actuelle, telles que l’accompagnement du deuil et de la fin de vie, l’éthique, la vie professionnelle ou encore l’éducation.