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  • Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Les Sakya Mönlam

Une intention de prière pour la paix et le bonheur


Photos ©Norbu Gyachung et Philippe Judenne


Fin juillet 2022, à la Grande Pagode du bois de Vincennes (Paris), s’est tenu sur trois jours un événement exceptionnel organisé par la fondation européenne des Sakya Mönlam[1].

[1] Les Mönlam désignent les grands rassemblements de prière traditionnellement organisés à Bodhgaya en Inde par les quatre grands courants du bouddhisme tibétain. Les Mönlam Sakyapa en Europe ont commencé à Anvers (Belgique) en 2019 et s’organisent pour soutenir spirituellement les diasporas tibétaine et Sakyapa en Europe.



Plus de 5 000 fidèles dont des membres des communautés laïques et monastiques, des disciples occidentaux et des Tibétains de toute l’Europe ont fait le déplacement pour recevoir des enseignements et assister à ce rassemblement historique, en un seul lieu, de tous les grands maîtres de la tradition Sakyapa.

La veille de l’événement, à la gare de Paris-Nord, les membres des associations tibétaines ainsi que quelques centaines de Tibétains avaient accueilli chaleureusement le doyen des maîtres Sakya Ghongma Trichen Rinpoché (77 ans) et l’actuel responsable de l’école Sakya : le 43e Sakya Trizin Gyana Vajra Rinpoché (48 ans). Les deux maîtres et leur entourage de moines, en habits monastiques rouge et jaune, avaient traversé la masse des fidèles tibétains en donnant des bénédictions sous les regards très étonnés de la foule du hall de la gare, pour rejoindre sur le parvis extérieur un cortège de voitures qui allaient se garer 40 minutes plus tard devant le temple de Kagyu Dzong, sur le site de la Grande Pagode. Le même jour, Gyana Vajra Rinpoché était arrivé à l’aéroport Charles de Gaulle et avait rejoint les autres maîtres.


Le lendemain, sortant du métro parisien à une heure plutôt matinale pour un samedi, les fidèles arrivaient par petits groupes ou en famille, majoritairement tibétaines. Les femmes suscitaient les regards curieux des piétons et des joggers. Leur robes longues, plissées et drapées jusqu’aux chevilles et réalisées dans des tissus asiatiques aux motifs discrets, ne les gênaient aucunement pour traverser les premières pelouses du bois de Vincennes et longer le lac jusqu’à l’arrivée à la Grande Pagode. Des hommes, des femmes et des enfants de tout âge, parfois trois générations dans une même famille – une chance pour ces anciens réfugiés – étaient habillés pour cette grande occasion de vêtements traditionnels, faits à la demande et sur mesure. Les apparences visibles de la tradition font se télescoper les époques : en portant un tablier ceinturé au niveau de la taille devant leur robe traditionnelle, les jeunes femmes indiquent leur statut marital. Moins discret qu’un bijou, plus direct que le statut Facebook, ces tabliers élégants font partie d’un code culturel ancien auquel toutes ne souscrivent pas.

Le soleil a pris un peu de hauteur. La chaleur est là. La grande tente a une jauge de 1 500 personnes, les premiers arrivants s’installent à son ombre. D’autres ont préféré l’intérieur tempéré de la Pagode où un écran de grande taille retransmet la cérémonie, tandis que les enfants jouent dans une aire de jeux. L’événement va durer trois jours, avec des enseignements, des initiations et des pratiques de prières de souhait. Peu importe désormais la façon dont on est habillé, on s’arrange au mieux avec la chaleur ambiante et on participe aux Mönlam.


La fondation européenne Sakyapa a édité pour l’occasion un livre de 172 pages contenant tous les textes des prières prévues au programme. Les livres étaient donnés par l’organisation aux fidèles.


Un promeneur en balade sur les pelouses du lac Daumesnil dans le bois de Vincennes aurait pu entrer dans la Pagode puisqu’elle était ouverte à tous. Curieux et attentif, il n’aurait pas manqué de ressentir l’ambiance de dévotion, de ferveur et de prière qui régnait en s’approchant de la tente. Face aux cinq grands maîtres installés en méditation, l’assemblée des fidèles écoute et suit la voix de l’oumzé (maître du chant), qui donne au micro les récitations, les psalmodies de mantra et les chants des prières. Les sessions de pratique peuvent durer de 90 minutes à 3 heures lors des sessions de prière du matin ou des pratiques de yidam (divinité de méditation). L’explication de la reine des prières de Samantabhadra sera donnée le premier jour et sa pratique menée le lendemain. Enseignements, initiations et bénédictions et prières se succèdent.


Le Mönlam a été présidé par (de gauche à droite) 1. Dhungsey Avikrita Vajra Rinpoché. 2. Le 42e Trizin Ratna Vajra Rinpoché. 3. Ghongma Trichen Rinpoché. 4. Le 43e Trizin Gyana Vajra Rinpoché et

5. Dhungsey Asanga Vajra Rinpoché.



Le 41e Sakya Trizin Ghongma Trichen Rinpoché bénissant les lieux. ©Norbu Gyachung

Pendant ces trois jours de Mönlam, moines, fidèles laïcs, sympathisants ou pratiquants occidentaux chevronnés établissent un rapport personnel à la pratique et à la prière. Personne ne juge ni ne regarde, si ce n’est à l’aune de son for intérieur, son propre engagement et son endurance à suivre la récitation des prières.

À la pause de midi, beaucoup s’installent sur les pelouses extérieures pour déjeuner tranquillement à l’ombre des arbres. Les enfants jouent sur l’herbe, les familles se retrouvent, on discute entre amis et proches, on partage un moment ensemble.

Certains fidèles rentrent chez eux l’après-midi, d’autres continuent très assidûment à suivre les pratiques du matin au soir pendant trois jours. L’après-midi du deuxième jour est la demi-journée à ne pas manquer : une initiation sur une pratique de longue vie est conférée par les maîtres et Ratna Vajra Rinpoché va donner une bénédiction à chaque personne de l’assemblée.

Au dernier matin de l’événement, une session de prière est donnée pour la longue vie du maître le plus âgé, Ghongma Trichen. Il s’adresse ensuite à l’assemblée en conseillant à chacun de faire preuve de compassion dans sa vie quotidienne.

Certainement, l’énergie des grands maîtres présents a contribué à la réussite des Sakya Mönlam et à faire grandir la confiance dans les enseignements du Bouddha dans le cœur de chacun.

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Comment ces souhaits et ces prières peuvent fonctionner ?

Comment les prières peuvent-elle avoir la capacité de réaliser quoi que ce soit ?


Lama Jampa Thayé [2] qui a posé cette question lors d’un enseignement qu’il donnait, fournit les éléments de compréhension : « La réponse vient du Bouddha lui-même : « Tout repose sur l’intention. Avoir une intention puissante dans l’esprit produit un résultat. Plus l’intention sera forte, plus le résultat sera là. »

Et pourquoi se fait-il que ce dont on a l’intention se produise ? Pour comprendre cela il faut comprendre le fonctionnement de la nature de l’esprit lui-même, sinon nous n’aurons pas confiance dans le fait que l’intention ait cette force. Il est enseigné dans les sûtras du Mahayana et les tantras que l’esprit est la base de tout. L’esprit est le fondement à la fois du samsara, l’enfermement dans le cycle des renaissances et des morts, et tout autant du nirvana, la libération. L’esprit est le créateur de ces deux-là. […] Quand l’esprit reconnaît sa propre nature, le fonctionnement du samsara cesse. Tout repose sur l’esprit lui-même, premier point expliquant pourquoi les prières fonctionnent.

Pour aller un peu plus loin, on peut observer comment il se fait que l’esprit peut créer le samsara. C’est au travers des actions, le karma, que l’on expérimente la souffrance ou un bonheur temporaire au quotidien. Ces actions apparaissent sur la base d’une intention. Le karma est l’intention et ce qui en résulte dans la parole et le corps. L’intention est la racine de toutes les expériences. Ce n’est pas le diable ou l’exercice d’une force extérieure qui produit ce que nous vivons dans nos expériences insatisfaisantes, c’est l’exercice de notre propre intention. De jour en jour, de vie en vie, nous faisons des choix, nous agissons avec nos intentions et nous continuons de fabriquer le samsara. Mais nous pouvons changer d’intention en passant des intentions qui sont l’expression du désir, de l’aversion et de l’ignorance basés sur la saisie d’un « moi », d’un « mien » à des intentions remplies d’amour, de sagesse et de compassion. Et c’est pourquoi le Mahayana insiste sur les mönlam, une pratique des souhaits positifs. Il s’agit d’un entraînement de l’esprit. Car ce que nous souhaitons est ce que nous deviendrons. »

[2] Lama Jampa Thayé est un érudit et un maître de méditation des traditions sakya et kagyu du bouddhisme tibétain. Il a obtenu un doctorat de l’université de Manchester pour son travail sur l’histoire religieuse tibétaine et a enseigné durant plus de vingt ans à l’université de Manchester. https://youtu.be/WprpS9FBhwY

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Les caractéristiques de l’existence

Rencontre avec Son Éminence Khöndung Asanga Vajra Rinpoché



Son Éminence Khöndung Asanga Vajra Rinpoché est né à Seattle en 1999. À l’âge de douze ans, il conduit pour la première fois avec succès la pratique complexe de Vajrakilya, une cérémonie très importante de la tradition Sakyapa tibétaine. Il dirige ensuite la congrégation au centre de Rajpur, en Inde. C’est un maître très érudit du bouddhisme tibétain qui appartient à une famille de maîtres illustres de la tradition Sakyapa. Présent à Paris pour les European Mönlam, il s’est rendu disponible la moitié d’une heure pour reprendre juste après son enseignement public.



Pourquoi anicca, dukkha, anatta, les trois caractéristiques de l’existence, sont-elles prises pour caractériser une voie spirituelle comme voie bouddhique ?

S.E. Khöndung Asanga Vajra Rinpoché : Lorsque nous pratiquons sur une voie spirituelle, nous devons accepter la réalité telle qu’elle est. Nous devons accepter la vérité et nous ne pouvons pas l’ignorer afin d’atteindre le bonheur que nous recherchons. Nous devons accepter la vérité qui est la souffrance, l’impermanence et la nature de la vacuité. Si nous pouvons faire face à la vérité, alors il existe un moyen de dépasser la souffrance et d’atteindre le vrai bonheur.

Retrouve-t-on vraiment ces trois caractéristiques dans toutes les expériences de notre vie ?

Bien sûr, nous ressentons tous dukkha, la souffrance, l’insatisfaction. Nous ne comprenons peut-être pas ses nombreux termes, mais tout le monde ressent la souffrance. Lorsque nous sommes malheureux, c’est de la souffrance. Que nous suivions une religion ou non, quel que soit notre passé, nous éprouvons tous de la souffrance. Il peut s’agir de souffrance physique ou de souffrance mentale, qui sont toutes deux des dukkha.

Anicca est l’impermanence. C’est quelque chose que nous vivons. Nous ne le remarquons peut-être pas, mais nous vieillissons et changeons, nous ne sommes pas toujours assis au même endroit, nous sommes toujours en train de faire quelque chose. Anicca est le changement. C’est quelque chose avec lequel nous vivons, bien sûr, mais nous ne le remarquons généralement pas.

Anatta, est l’absence de soi des phénomènes. Ils n’ont pas d’identité absolue. C’est la réalité que nous ne remarquons pas. Je dirais que dukkha est certainement ce que nous pouvons expérimenter et remarquer le plus souvent. Anicca, parfois nous le remarquons, mais la plupart du temps, ce n’est pas le cas. Notre problème est que nous ne comprenons pas du tout anatta et que nous souffrons donc, car la saisie du soi (ndlr : qui aboutit au sens très prononcé du « je », « moi », « mien ») est la cause première du samsara.

Est-il possible de résumer simplement ces caractéristiques anicca, dukkha, anatta ?

Dukkha doit être comprise, anicca est la nature de la vie que nous devons transcender et anatta est la nature ultime de tous les phénomènes qui doit être réalisée.


Les contemplations sur l’impermanence, l’insatisfaction et le non-soi font-elles davantage partie d’un système philosophique ou sont-elles plutôt des outils d’investigation, une façon d’explorer l’expérience, d’explorer nos attachements et nos conditionnements ?

Ces contemplations ont été enseignées par le Bouddha parce qu’elles sont la vérité. En méditant sur elles, on se rapproche de la vérité et on découvre ce que l’on est vraiment, soi-même et les autres. Il s’agit simplement de méthodes permettant de démasquer le vrai visage de la réalité.


Dans son enseignement sur les Quatre Nobles Vérités, le Bouddha dit que la souffrance, l’insatisfaction, dukkha, « doit être reconnue », accueillie, comprise. Dukkha, c’est comme avoir un caillou dans la chaussure et devoir cohabiter avec ? Comment devons-nous comprendre ce mot pali ? Fondamentalement, dukkha est la souffrance. Nous la comprenons tous mais nous souhaitons parfois, peut-être, nous en débarrasser simplement et rapidement en claquant des doigts. En bref, nous avons peur de faire face à la vérité : nous souhaiterions nous débarrasser de la souffrance par une voie heureuse et facile. Cependant, selon le Bouddha, nous ne pouvons pas transcender la souffrance sans d’abord y faire face. Y faire face signifie reconnaître notre souffrance.

Le Bouddha nous montre que si nous comprenons que nous souffrons, si nous comprenons ensuite ce qui cause cette souffrance (les actes négatifs), et si nous nous abstenons de semer ces graines qui produisent notre souffrance, nous pourrons nous débarrasser du résultat qui est la souffrance, l’insatisfaction. On en revient à la loi du karma.


Accepter l’impermanence du corps, accepter la séparation d’avec les êtres chers et les objets d’attachement et la rencontre avec les objets d’aversion est difficile. Comment la caractéristique de l’impermanence accompagne-t-elle aussi la voie, le chemin de la libération ?

Lorsque les pratiquants du Dharma comprennent anicca, ils la comprennent d’abord comme la vérité, la réalité du samsara et ils travaillent ensuite avec cette réalité. Ils ne la considèrent pas comme quelque chose de si mauvais que l’on ne veuille pas y penser. Ils comprennent que c’est la vérité et ils deviennent à l’aise en travaillant avec. Comme je l’ai dit précédemment, vous ne pouvez pas vous débarrasser du samsara ou des attachements sans comprendre l’impermanence. Nous avons tous ces attachements parce que nous ne contemplons pas souvent la nature impermanente de la vie : nous pensons que nous allons vivre longtemps, que tout ce qui nous est cher durera toujours, que nous ne le perdrons pas et nous faisons tous ces projets comme si nous vivions éternellement. C’est parce que nous avons l’opposé de la notion d’impermanence dans notre esprit. Si nous percevons bien la notion d’impermanence, nos attachements s’affaiblissent et, par conséquent, nous ressentons la vraie liberté, la liberté de ne pas s’accrocher, la liberté de ne pas avoir quelque chose qui nous empêche d’atteindre le vrai bonheur et la paix.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°23 (Automne 2022)

 



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