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THICH NHÂT HANH
Un courant de continuation

Témoignages recueillis par la Rédaction sur plumvillage.org.

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Thich Nhât Hanh est le nom sous lequel est connu le maître zen vietnamien dans le monde entier, comme écrivain, enseignant, poète et militant pour la paix. Le 22 janvier 2022, Thich Nhât Hanh est décédé paisiblement au temple Tu Hieu à Hué, au Vietnam, à l’âge de 95 ans. À l’image de sa propre vie, Thay nous enseigne que nous pouvons embrasser même la plus grande adversité avec courage et compassion, et que notre véritable présence est le meilleur cadeau que nous puissions offrir à ceux que nous aimons. Au cours d’une carrière extraordinaire d’enseignant qui s’étend sur plus de soixante-dix ans, Thich Nhât Hanh a contribué à transformer le bouddhisme en une pratique vivante qui peut continuer à se renouveler au xxie siècle.

« Construire un Sangha est tout un art. Prendre soin du Sangha, c’est prendre soin du Bouddha. À travers le Sangha, il est possible de toucher le Dharma vivant. Prendre soin du Sangha, c’est prendre soin de nous-mêmes, et prendre soin de nous-mêmes, c’est prendre soin de notre Sangha. »

Extrait d’un enseignement donné par maître Thich Nhât Hanh pendant une retraite en 1996, intitulée « Le cœur des enseignements du Bouddha ».

TÉMOIGNAGE DE FRÈRE PHAP HUU

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Frère Phap Huu a été ordonné novice en 2002 et a reçu l’ordination complète de bhikkhu en 2006, et la transmission de lampe en tant qu’enseignant du Dharma en 2009. Il est l’abbé du Hameau du Haut depuis janvier 2011.

Quand Thay a quitté son corps, je pensais que j’allais bien parce qu’en 2016, Thay était déjà parti du Village des Pruniers pour se rendre dans notre centre en Thaïlande. Tôt le matin, avant son départ pour l’aéroport, nous sommes allés avec frère Phap Dung lui dire au revoir. Tous les deux, nous nous sommes mis à genoux, nous avons joint nos paumes et nous avons souhaité à Thay un bon voyage. Et Frère Phap Dung a dit à Thay : « Thay, nous, tes élèves du Village des Pruniers, nous allons perpétuer ton héritage, ici. » Et Thay, de sa main gauche, a joint ses paumes et s’est incliné devant nous. Il a mis sa main sur nos deux têtes et a touché notre visage. Et puis il a fait ce mouvement de la main, comme pour dire : « Maintenant, allez, faites ce que je veux que vous fassiez, soyez ma continuation. » C’est notre lignée. Nous avons ce magnifique courant de continuation.

J’ai eu le sentiment que Thay voulait que nous apprenions à déployer nos propres ailes et à ne pas toujours nous réfugier en lui comme des étudiants qui ne progressent pas. Thay n’a jamais désigné un leader du Village des Pruniers, mais il a dit : « Chacun d’entre vous sera ma continuation. » Les aînés savent ce qu’ils ont à faire. Les jeunes savent comment ils peuvent perpétuer l’enseignement de Thay. Les amis laïcs savent comment ils peuvent soutenir et aussi comment ils peuvent être la continuation de Thay dans leur propre pratique. Et donc, depuis 2016, je médite et pratique avec cette idée que nous ne sommes pas enfermés dans la présence physique de Thay, et nous nous en sommes très bien sortis, vous savez. L’héritage de Thay continue à travers nous. D’une certaine manière, j’étais naïf en pensant que j’étais prêt. Et quand je me suis finalement assis, que j’ai mis ma robe, que nous nous sommes tous rassemblés, j’ai craqué, et j’ai pleuré.

Frère Minh Hy s’approche alors de moi et il m’embrasse, et je pleure, je pleure sur son épaule. Et je me dis : « Wow, l’humanité vient de dire au revoir à l’un des plus grands enseignants de tous les temps. » Et j’ai ressenti tellement de gratitude, parce que j’étais assis là où se trouve la cloche, où Thay s’assoit habituellement. Et nous avons apporté la photo que nous avions choisie pour les funérailles. Cette photo a été choisie parce qu’elle symbolise la transmission. Je pense que tout le monde a vu la photo de Thay dans sa robe de moine, tenant une lampe du Dharma. À chaque fois que Thay transmet cette lampe à un monastique ou à un laïc pour qu’il devienne un enseignant du Dharma, il doit toujours prononcer : « Cette flamme est transmise de génération en génération, et maintenant je vous la transmets à tous ». Et il ajoute : « S’il vous plaît, protégez-la, laissez-la briller, et assurez-vous qu’elle continue à briller dans le moment présent et dans le futur. »

Dilgo Khyentsé Rinpoché  ©Matthieu Ricard

TÉMOIGNAGE DE THO HA VINH

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Tho Ha Vinh est un des premiers disciples de Thay en France. Docteur en sciences de l’éducation de l’université de Genève, il a une longue expérience de la formation dans le domaine éducatif et social ainsi que dans la formation de formateurs. Il pratique et enseigne le bouddhisme dans la tradition du Village des Pruniers.

Mon père était vietnamien et ma mère française, mais j’ai grandi en dehors du Vietnam. En 1982, j’ai eu pour la première fois l’occasion de rentrer au Vietnam. Pendant ce voyage, j’ai rencontré plusieurs membres de ma famille qui avaient été des disciples de Thay. Ils m’ont demandé si j’avais eu l’occasion de rencontrer leur maître, et j’étais un peu gêné d’avouer que non seulement je ne l’avais pas rencontré, mais que je n’avais même pas encore entendu parler de lui.

À mon retour en Europe, j’ai écrit une lettre à sœur Chân Không qui m’a répondu très gentiment et m’a envoyé le livre de Thay, Le Miracle de la Pleine Conscience, et m’a invité à venir au Village des Pruniers où ils venaient de s’installer. Je me rappelle encore très vivement du premier enseignement : j’ai vraiment eu l’impression que jusque-là ma compréhension de la compassion avait été très superficielle. Et qu’en écoutant l’enseignement de Thay, tout d’un coup, j’avais une expérience très profonde de l’ouverture du cœur. Je me suis mis à pleurer, non pas de tristesse, mais d’émotion, d’autant plus que Thay semblait véritablement incarner cette compassion dont il parlait.

Ça a été le début d’un lien très profond avec Thay et le Village des Pruniers. À l’époque il y avait très peu de monastiques : sœur Chân Không et Thay faisaient encore tout eux-mêmes. Nous étions moins de 100 participants, donc tout le monde se connaissait, c’était très familial ! On avait une impression de fraternité, de proximité les uns avec les autres. Ça a été vraiment ma première expérience de la Sangha.

Avec mon épouse, nous sommes retournés régulièrement au Vietnam, encouragés par Thay et sœur Chân Không à développer des projets, en particulier pour les enfants vivant en situation de handicap. Nous avons créé la fondation Eurasia à cette fin. Nous avons pu côtoyer les anciens disciples de Thay avec lesquels nous avons aussi collaboré pour la mise en place de nos projets.

Thay nous encourageait dans tout ce qu’on faisait et, en même temps, il nous laissait tout à fait libres. Il ne nous a jamais dit ce que nous devions faire, il n’a jamais rien attendu de nous ; il était uniquement dans le soutien et la générosité, l’encouragement. Ses enseignements ne se limitaient pas à aux enseignements formels du Dharma ou aux méditations. Lorsque nous avions l’occasion d’avoir des interactions directes avec lui, c’était aussi souvent l’occasion d’enseignements. Ainsi, je me souviens une fois d’avoir marché avec lui — je crois que c’était à Genève. Je revenais tout juste du Vietnam où je m’étais rendu à Tu Hieu, le temple racine ; Thay n’avait pas encore pu, à l’époque, retourner au pays. Je lui racontais tout ce que j’avais vu, les gens que j’avais rencontrés, et je me suis laissé probablement un peu emporter par mon discours. Nous marchions dans la rue et Thay s’est arrêté, a posé sa main sur mon bras, m’a regardé et souri... Avec son doigt il a pointé le sol sur lequel nous marchions, et il a dit : « Tu Hieu, c’est ici. » C’était un enseignement très immédiat, très fort, d’être ramené vraiment à ce qui importe. C’est la pleine présence, la pleine conscience, dans l’instant présent.

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Une autre fois, nous mangions ensemble et sœur Chân Không m’a questionné sur les projets que nous avions au Vietnam avec les enfants et j’ai commencé à raconter — je me suis sûrement encore laissé emporter par l’enthousiasme — et à un certain moment, Thay s’est arrêté de manger, m’a regardé, a souri et m’a dit : « Tu manges du riz ou tu manges des projets ? » C’était de nouveau un de ces moments de retour à la pleine conscience, avec beaucoup de gentillesse, d’humour, de compassion mais aussi avec

Soeur Chân Không

une certaine fermeté. C’était un enseignement précieux. 

J’ai eu la chance de me trouver à Hué quand Thay est revenu pour sa dernière étape, pour s’installer à nouveau au temple racine. Je me souviens de la toute dernière visite que je lui ai faite. Thay était en train de manger donc je ne voulais pas le déranger, je restais un peu en retrait. Quand il m’a vu, il a plongé sa cuiller dans son bol — il mangeait avec la main gauche car sa main droite était paralysée — et il m’a tendu sa cuiller comme s’il voulait me nourrir. Ça m’a tellement touché, et je me suis dit : ça, c’est exactement ce que Thay a fait toute sa vie, il a nourri tous les gens autour de lui, sur tous les plans. En tant que disciples de Thay, essayons de nourrir non seulement matériellement, quand c’est nécessaire physiquement, mais aussi émotionnellement, spirituellement ceux qui ont faim et qui ont soif.

Lors du premier enseignement que j’avais entendu, Thay avait parlé d’Avalokiteshvara qui avait mille bras, avec un œil dans chaque main. À l’époque les bras de Thay étaient essentiellement les bras de sœur Chân Không. Dans la très belle vidéo « Peace is every step », sœur Chân Không

dit : « Thay était la tête, et moi j’étais les bras. » Ça a continué pendant toutes ces années, mais fort heureusement maintenant, Thay a encore plus de bras ! Sœur Chân Không avait déjà au moins mille bras, mais à présent avec tous les monastiques, l’ordre de l’Inter-Être et tous les pratiquants à travers la planète... Thay a des centaines de milliers de bras pour soulager la souffrance du monde. Depuis qu’il a changé de forme, et quitté ce corps physique, je sens sa présence plus forte que jamais. La semaine qui s’est écoulée après son passage a été comme un grand enseignement sur la réalité de la vieillesse, de la maladie et de la mort, et en même temps sur la réalité de la non-naissance et de la non-mort. Thay est plus présent que jamais, et nous avons la chance de pouvoir continuer ce qu’il nous a appris et nous en sommes profondément, profondément reconnaissants.

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Bodhisattva Avalokiteshvara à mille bras (ou Quan Thê Âm en vietnamien). Bois laqué et doré. Époque Lê / Nguyen (fin XVIIIè - début XIXè s.). Musée Guimet

TÉMOIGNAGE DE CATHERINE

Kangyour Rinpoché  ©Matthieu Ricard

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Sur la colline du Hameau nouveau, sous un ciel changeant et menaçant, nous étions assis en méditation, autour de Thay. Je venais de découvrir avec tous les merveilles, des pas en pleine conscience, entourés d’une Sangha de pratiquants silencieux. Paix et douceur m’habitaient. Au dehors, quelques gouttes éparses tombaient ici et là. Thay invita le son signalant la fin de la méditation assise. J’ouvris les yeux.

L’ombrelle du maître se déploya, sous les bons soins d’un aspirant monastique dévoué. Thay se leva et initia, doucement, le retour de la marche méditative. Nous avons consciencieusement suivi le flux de pratiquants progressant dans la pente. 

C’est alors que le ciel s’assombrit, d’un coup.

Sans que personne ne s’y attende, comme un lièvre, Thay détala promptement ! Le jeune moine, censé protéger son maître de la pluie, réalisa qu’il tenait l’ombrelle ouverte... sans plus personne dessous. Surpris, il se mit à courir. En quelques secondes, d’énormes gouttes d’eau se précipitèrent sur toute la Sangha déconcertée. La scène était on ne peut plus cocasse. La foule de pratiquants, à grandes enjambées, courait derrière la silhouette agile du vénérable Thich Nhât Hanh. Il finit par grimper prestement sur le terre-plein abritant la grosse cloche.

De là, bien à l’abri, il pouvait admirer, rieur, la joyeuse course de la Sangha.

Sa joie espiègle devenait la joie de toute l’assemblée ! 

Je voyais la pluie du Dharma éclairer les visages de chacun. Nous formions, à nous tous, un seul et même grand corps, riant ! Tous ces hommes et ces femmes de science, si sérieux depuis leur arrivée, entraient de plain-pied dans l’enseignement vivant du grand maître de la Pleine Conscience. 

Je n’ai jamais oublié ce moment inédit. Il a déterminé, comme tant d’autres moments merveilleux, mon choix de rejoindre la communauté des frères et sœurs du Village et de suivre les enseignements de Thay. Gratitude envers la fraîcheur toujours renouvelée de ses transmissions. 

TÉMOIGNAGE DE FRANÇOISE

© Rene Bohmer

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Cher Thay, le premier jour où je suis allée au Village, j’avais 68 ans. Au cours de la méditation tu as prononcé ces paroles : « Je suis chez moi, je suis arrivé(e) » et j’ai fondu en larmes, secouée de sanglots. Peu auparavant j’étais retournée au Vietnam avec mon frère, où nous sommes nés. Ces paroles ont lavé la mémoire de déracinement d’une fille du colonialisme français. J’ai fait la paix en moi. Depuis lors, tes pratiques sous-tendent tous mes enseignements et ma vie. Merci. Merci. Merci du fond du cœur. 

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Cet article intégral est issu de Sagesses Bouddhistes Le Mag n°21.

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