Transcript de l'émission Sagesses Bouddhistes
25 juillet 2010
ZAZEN Maître Okumura Shohaku sur le thème de la méditation, thème central du numéro 1 du magazine Sagesses Bouddhistes. Article non présent dans la version papier, uniquement en version web.
Shohaku Okumura (奥村 正博), né en1948, est devenu moine Zen Soto en 1970 et reçu la transmission en 1975 de Kosho Uchiyama Roshi. Il est le fondateur et guide de la Sanshin Zen Community (Sanshinji) basée à Bloomington en Indiana, où il vit avec sa famille. Maître Okumura est aussi directeur du Soto Zen Buddhism International Center à San Francisco et rédacteur en chef du Soto Zen Journal.
Aurélie Godefroy : […] Maître Okumura, bonjour. Cette émission est consacrée à la méditation dans le zen et plus particulièrement à ce que l’on appelle la pratique de Shikantaza. De quoi s’agit-il, maître Okumura ?
Maître Okumura : Je suis de la tradition du zen Sôtô fondé par le maître japonais Dögen Zenji et ce mot de shikantaza était utilisé par le propre maître de Dögen Zenji, le maître zen Tendo Nyojô qui, lui, était chinois. Shi signifie seulement et kentaza signifie s’asseoir. Donc cette posture shikantaza signifie seulement s’asseoir. Dans les nombreuses traditions bouddhistes, chaque tradition possède une approche différente de sa propre pratique de méditation. Dans notre tradition, nous l’appelons zazen, ou méditation assise, shikantaza. Nous n’utilisons pas d’autre technique de méditation basée par exemple sur les visualisations, ou les mantras ou les koans et même dans notre propre lignée, nous ne comptons pas nos respirations. Nous gardons seulement notre corps bien droit, les yeux ouverts. Notre respiration part du nez, descend jusqu’à l’abdomen et nous restons assis.
Aurélie Godefroy : Cette attitude mentale propre à zazen, c’est un lâcher prise total ?
Maître Okumura : Oui, quand nous sommes assis, nous gardons une position verticale. Nous sommes vigilants, ce qui signifie ne pas dormir. Et parfois il arrive que lorsque nous sommes dans cette position, nous nous assoupissons ou bien nous pensons. Mais si nous réalisons que nous dévions de cette simple assise, nous devons immédiatement y retourner. Dans notre esprit, de nombreuses pensées vont et viennent. Nous devons arrêter et retourner à notre pratique. Cela s’appelle laisser passer les pensées. L’expression de mon maître était d’ouvrir les pensées. Lorsqu’on réfléchit, on saisit quelque chose. Mais nous devons nous en dé-saisir et retourner à la simple assise.
Aurélie Godefroy : Est-ce que shikantaza, ce n’est pas mettre son énergie toute entière dans l’assise ?
Maître Okumura : Oui, quand nous sommes assis, nous devons nous concentrer sur ici et maintenant, sur ce que nous faisons, car il arrive parfois que notre corps soit dans la bonne position, mais que notre esprit vagabonde. Aussi, dès que notre esprit est ailleurs, nous devons revenir à notre assise et mettre toute notre énergie dans cette seule pratique assise. C’est ainsi.
Aurélie Godefroy : Vous pratiquez shikantaza de la même manière que votre maître lui-même vous l’a enseigné. Quelles sont ses caractéristiques ?
Maître Okumura : Maitre Uchiyama a crée sa propre forme de méditation. Lorsqu’il était abbé de Antai-ji près de Kyoto, nous avions cinq jours de session de méditation chaque mois, excepté en février et en août. Durant ces cinq jours, nous étions assis pendant cinquante minutes à raison de quatorze fois par jour, de quatre heures du matin à vingt et une heure le soir. Ainsi nous étions assis quasiment toute la journée pendant cinq jours. C’était son unique mode de pratique et j’ai continué cette forme de pratique avec les Occidentaux.
Aurélie Godefroy : Maître Dögen disait : « Le chemin est complet et universel. Comment peut-on différencier la pratique de l’Eveil ? » Qu’est ce que ça signifie plus précisément ?
Maître Okumura : Ce qu’il voulait dire, c’était qu’il n’y avait pas de réelle distinction entre ce que nous faisons maintenant et ce que nous voulons obtenir dans le futur. Ce que nous faisons maintenant est en soi l’Eveil. Il n’y a pas de séparation entre les moyens et le but. Nous devons idéalement nous concentrer sur ici et maintenant. Ce n’est pas un point de départ pour penser à ce qu’il serait possible d’obtenir dans le futur. Nous devons nous concentrer uniquement sur ce que nous faisons dans l’assise, sur le ici et maintenant. C’est ce qu’il voulait exprimer.
Aurélie Godefroy : J’aimerais savoir comment vous enseignez la posture, qui est très importante, à vos étudiants ? Quels conseils concrets leur donnez vous ?
Maître Okumura : Lorsque nous faisons zazen, nous nous asseyons sur un coussin rond, les jambes croisées. Nous gardons notre corps bien vertical, le menton légèrement rentré. Nous gardons les yeux ouverts. Notre respiration profonde part du nez vers l’abdomen. Nous gardons les mains comme ça, doigt et pouces joints, c’est le mudra universel, dans cette position en contact avec l’abdomen et nous gardons tout simplement cette posture.
Aurélie Godefroy : Vous parlez également des trois esprits qui régissent la façon dont nous faisons zazen et également la façon dont nous nous comportons dans notre vie quotidienne. De quoi s’agit-il ?
Maître Okumura : Tous les pratiquants doivent se souvenir des trois esprits. Ce sont l’esprit vaste, l’esprit aimant et l’esprit joyeux. Maître Dögen disait que ces trois attitudes étaient la base que tous les pratiquants, comme le bodhisattva, se devaient de garder dans leur pratique et leur communauté.
L’esprit vaste, c’est l’esprit qui développe l’équanimité sans discrimination, qui accepte les choses, tout comme l’océan reçoit les différentes rivières, sans aucune discrimination.
L’esprit aimant, c’est l’esprit de celui qui prend soin des autres. C’est l’attitude que nous développons plus dans la maturité, car dans l’enfance, on ne peut pas le développer, mais après, à l’âge adulte, on peut prendre soin des autres personnes.
Et l’esprit joyeux développe la joie que nous éprouvons en aidant autrui.
Ces trois attitudes de l’esprit sont très importantes, pas seulement dans les communautés zen ou bouddhistes, mais dans toutes les communautés.
Aurélie Godefroy : Pourquoi justement ces trois esprits sont-ils à la base de chaque communauté ?
Maître Okumura : Pas seulement dans la communauté zen, car aujourd’hui tous les gens issus des différentes traditions de différentes cultures, les laïcs, les religieux font partie d’une vaste communauté dans le monde. Si nous pensons que notre tradition est la seule valable ou la meilleure, nous ne pourrons jamais vivre en paix et en harmonie avec les autres traditions. Aussi avoir cet esprit équanime, sans discrimination, accepter les autres avec tolérance, accepter leur culture ou leur façon de penser, c’est très important. Et par cette action, on peut développer la joie et la paix.
Aurélie Godefroy : Même si shikantaza signifie seulement s’asseoir, quels sont les principaux obstacles et comment les contourner ?
Maître Okumura : Bien sûr nous avons beaucoup de difficultés et la première vient de nous-même, de notre façon de penser et de juger, qui est basée sur nos préférences personnelles et le gain. Dans notre société moderne, nous sommes toujours tourné vers un but. Si nous n’arrivons pas à obtenir ce but, il devient alors très difficile de se motiver pour agir . C’est un réel obstacle à la pratique. Il y a tant de stimulations extérieures et de tentations pour avoir toujours plus. On est toujours en train de courir après quelque chose et nous en oublions l’essentiel : être dans le présent ici et maintenant. C’est une deuxième difficulté.
Et aussi évidemment, particulièrement pour les Occidentaux, s’asseoir les jambes croisées peut être une difficulté. Il faut de la patience. Nous devons affronter ces différents obstacles et il n’y a pas moyen d’y échapper.
Aurélie Godefroy : Pour terminer, pouvez-vous nous dire en quelques mots à quoi peut servir cette assise de shikantaza dans notre vie quotidienne, pour nous et aussi pour les autres ?
Maître Okumura : Comme je le disais, dans notre société moderne, nous pensons toujours en termes de but. Nous sommes toujours en train de courir après quelque chose afin d’obtenir et de gagner ceci ou cela. C’est l’une des causes des difficultés que nous rencontrons.
Nous sommes tellement avides d’acquérir pour être heureux et satisfaits. Pourtant, il est important de redevenir nous-même, d’être intime, familier avec nous-même, afin de mieux nous connaître, voir quels sont nos vrais besoins et pas nos désirs. Il est nécessaire de comprendre la différence entre ce que nous avons réellement besoin pour vivre en tant qu’être humain et notre besoin de satisfaire constamment ce qui n’est pas essentiel.
C’est très important pour nous aujourd’hui. Aussi cette pratique de shikantaza ou seulement s’asseoir peut se révéler d’un grand secours pour devenir plus intime avec nous-même et découvrir réellement qui nous sommes.
Aurélie Godefroy : Merci beaucoup, maître Okumura, d’avoir accepté notre invitation.